Il avait été marié deux fois. De ses trois fils, l’aîné, Dmitri Fédorovitch, était de la première femme : les deux autres, Ivan et Alexey, étaient de la seconde. La première femme de Fédor Pavlovitch appartenait à la plus haute et la plus riche noblesse, les Mioussov, autres pomiestchiks de notre district. Comment se peut-il qu’une jeune fille riche, jolie et intelligente, ait épousé un homme d’un si mince mérite ? Je ne prendrai pas sur moi de l’expliquer, mais j’ai connu une jeune fille de l’ancienne génération « romantique » qui, après plusieurs années d’un amour bizarre pour un homme qu’elle aurait d’ailleurs pu épouser sans difficulté, finit par inventer des obstacles insurmontables à cette union et choisit une nuit d’orage pour se précipiter du haut d’un rocher dans un fleuve profond et rapide. Je crois qu’elle était jalouse d’Ophélie. Le fait est authentique ; et ce n’est pas le seul de ce genre dont les deux ou trois dernières générations nous aient rendus témoins. La folie d’Adélaïda Ivanovna Mioussova était de cet ordre. Peut-être pensait-elle prouver par là son indépendance personnelle et féminine, réagir contre les préjugés de sa caste, contre le despotisme de sa famille, et son imagination, docile à son désir, se convainquit bientôt que Fédor Pavlovitch, tout pique-assiette notoire qu’il fût, n’en était pas moins un homme d’une certaine valeur, hardi, ironique, mordant, quand, à parler vrai, ce n’était qu’un méchant bouffon. Le plus amusant de l’affaire, c’est que Fédor Pavlovitch fut obligé d’enlever sa fiancée, ce qui flatta singulièrement les goûts romanesques d’Adélaïda Ivanovna.
Fédor Pavlovitch était prêt à tout, résolu à se pousser