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Rakitine s’exaltait. Tout à coup, comme s’il se rappelait quelque chose, il s’interrompit.

— Mais c’est assez, dit-il. Tu ris ! Tu me trouves banal ?

— Non, je n’ai pas pensé… tu es très-intelligent, mais… laisse donc cela, j’ai souri sottement. Tu allais t’exalter, Micha. J’ai compris à tes emportements qu’à toi-même Katherina Ivanovna n’est pas indifférente. Je soupçonnais cela, frère, depuis longtemps, et c’est là pour quoi tu détestes Ivan. Tu es jaloux de lui…

— Et de son argent aussi, ajoute encore cela.

— Non, je ne parle pas d’argent. Je ne veux pas te faire cette injure.

— Je te crois. Mais que le diable t’emporte avec ton frère Ivan ! Je puis le détester sans que Katherina Ivanovna y soit pour rien. Et pourquoi aurais-je de l’amitié pour lui ? Il me fait bien l’honneur de me détester : pourquoi ne lui rendrais-je pas la pareille ?

— Je ne l’ai jamais entendu parler de toi ni en bien ni en mal.

— Mais moi, j’ai entendu dire qu’avant hier, chez Katherina Ivanovna, il m’a habillé de la belle manière. Voilà à quel point il s’intéresse à ton serviteur. Lequel des deux est jaloux de l’autre, frère ? Je n’en sais vraiment rien. Il a daigné dire que, si je ne consens pas à devenir archiprêtre le plus tôt possible, j’irai certainement à Pétersbourg ; j’entrerai dans quelque importante revue, certainement dans le bataillon des critiques ; j’écrirai durant une dizaine d’années, et au bout du compte, la revue m’appartiendra. Je la dirigerai vers le libéralisme et l’athéisme, voire vers le socialisme, tout en me tenant exactement sur la réserve,