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sonner sur la sagesse et tâcher de s’élever jusqu’à elle, c’est là que doit tendre notre existence. Puissiez-vous avoir fait votre choix à temps, et que Dieu bénisse vos voies !

Le starets leva la main, et, de sa place, fit le signe de la croix sur Ivan Fédorovitch. qui aussitôt s’approchant du vieillard, lui baisa la main, puis se rassit. Il accomplit cette action si simple avec une telle étrangeté, une si singulière solennité, qu’il se fit autour de lui un silence d’étonnement. Alioscha parut même effrayé. Mioussov hocha la tête, et Fédor Pavlovitch sursauta sur son siége.

— Saint Père, s’écria-t-il en désignant Ivan Fédorovitch, c’est mon fils, c’est la chair de ma chair, ma progéniture préférée ! C’est pour moi le respectueux Karl Moor, tandis que l’autre, celui qui vient d’entrer, c’est l’irrespectueux Frantz Moor, les deux brigands de Schiller, et moi je suis le Pregierender Graf von Moor. Jugez-nous et sauvez-nous. Nous vous demandons vos prières et plus encore : vos prédictions.

— Pourquoi encore cette bouffonnerie ? Pourquoi offenser vos fils ? murmura le starets d’une voix basse et affaiblie.

— C’est la comédie déplacée que je pressentais en venant ici, dit Dmitri Fédorovitch avec indignation en se levant à son tour. Pardonnez, Révérend Père, j’ai une pauvre éducation et je ne sais même pas dans quels termes m’adresser à vous. Mon père ne désire qu’un scandale, et pourquoi ? Il le sait peut-être… et je crois le savoir aussi…

— Tout le monde m’accuse ! gémit Fédor Pavlovitch. Petre Alexandrovitch lui-même !… Car vous m’avez accusé, Petre Alexandrovitch, vous m’avez accusé !… répéta-t-il