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de vingt-huit ans. Il était très-musclé et semblait avoir une très-grande force physique, malgré son visage maladif, maigre, ses joues creuses, son teint jaune. Ses grands yeux noirs, à fleur de tête, avaient une expression à la fois entêtée et vague. Même quand il s’agitait et parlait avec humeur, ses yeux conservaient cette expression étrangère à celle de sa physionomie. Aussi eût-on difficilement pénétré malgré lui dans ses pensées. Cet air maladif s’expliquait d’ailleurs, aussi bien que ses extraordinaires emportements dans ses disputes avec son père, par la vie de désordres qu’il menait. Il était vêtu en dandy : redingote boutonnée, gants noirs ; à la main un chapeau haut de forme. Il marchait à grands pas, d’un air décidé. Il s’arrêta un instant sur le seuil, puis se dirigea vers le starets, devinant en lui le « maître de la maison ». Il le salua très-bas et lui demanda sa bénédiction. Le starets se leva et le bénit. Dmitri Fédorovitch lui baisa respectueusement la main, et, très-ému, presque irrité, il dit :

— Ayez la générosité de me pardonner. Je vous ai fait attendre longtemps, mais le laquais Smerdiakov, que mon père m’a envoyé, m’a trompé sur l’heure de la réunion. « C’est pour une heure », m’a-t-il dit du ton le plus décisif, et voilà que j’apprends…

— Ne vous tourmentez pas, dit le starets, vous êtes un peu en retard, il n’y a pas grand mal.

— Je vous remercie. Je n’attendais pas moins de votre bonté.

Dmitri Fédorovitch salua encore, puis, se tournant vers son « petit père », il lui fit le même salut respectueux et solennel. On sentait que ce salut était calculé d’avance,