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LES FRÈRES KARAMAZOV. 289

reprit-elle d'un ton menaçant, les yeux baissés, comme si elle sa parlait à elle-même. Peut-être suis-je seulement au moment de pardonner. Mais je lutterai encore contre moi. Ce sont mes cinq années de larmes que j'aime, c'est mon outrage, ce n'est pas lui.

— Je ne voudrais pas être à sa place, dit Raki- tine.

— Et tu n'y seras jamais, Rakitka, tu n'y seras jamaisl Ta es tout au plus bon pour nettoyer mes bottines; mais une femme comme moi, ce n'est pas pour toi... et peut- être n'est-ce pas pour lui non plus.

— Lui ? et pourquoi donc cette toilette alors?

— De quoi te mêles-tu ? Peut-être est-ce exprès que j'ai mis cette toilette, pour pouvoir lui dire : e M'as-tu jamais vue si belle ? » Il m'a laissée jeune fille de dix-sept ans, maigriotte, pleurnicheuse. . . Je le séduirai, je l'exaspére- rai : « M'as-tu jamais vue si belle? Eh bien! retourne d'où tu viens, maintenant, les lèvres mouillées et le gosier secl » — Ou peut-être arracherai-je cette toilette, me défîgure- rai-je... et peut-être encore n'irai-je ni chez lui ni chez Kouzma. Je rendrai à Kouzma son argent et je me met- trai servante. Tu crois que je n'en aurais pas le courage, Rakitka? Tu te trompes!...

Elle cria les derniers mots comme dans une crise, puis se rejeta contre les coussins. Tout son corps était secoué par les sanglots.

Rakitine se leAa.

— Le temps marche, dit-il. Il sera bientôt trop tard pour rentrer au monastère.

Grouschegnka se leva vivement.

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