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288 LES FRÈRES KARAMAZOV.

— Tu es bourré de ton starets et tu le décharges sur moi, Alioschegnka, l'homme de Dieu, dit-il avec un sou- rire haineux.

— Ne ris pas, Rakitiue, ne parle pas du mort. Il est au- dessus de tous les vivants, s'écria Alioscha, les yeux pleins de larmes. Ce n'est pas un juge qui te parle. Je suis moi- même un accusé. Car que suis-je devant elle?... J'étais venu ici pour me perdre, par faiblesse : mais elle, après cinq ans de tortures, pour un mot sincère qu'elle entend, elle pardonne, elle oublie tout et pleure ! Son séducteur est revenu, il l'appelle, elle lui pardonne et court joyeu - sèment à lui. Car elle ne prendra pas de couteau, non! C'est une leçon pour nous, elle nous est supérieure... L'autre aussi, celle qu'elle a offensée avant-hier, pardon- nera quand elle saura tout.

Grouschegnka leva la tête et regarda avec un sourire ému Alioscha...

— Viens, Alioscha, assieds-toi ici et dis-moi... Elle lui prit la main et le regarda.

— Dis-moi, est-ce que je l'aime, mon séducteur, oui ou non? Je m'interrogeais ici dans l'obscurité 1 Est-ce que je l'aime? Décide, l'heure est venue, ce que tu diras sera vrai. Faut-il pardonner ?

— Mais tu as déjà pardonné !

— C'est vrai, dit Grouschegnka d'un air profond. lâche cœur ! Eh bien ! je vais boire à la lâcheté de mon cœur!

Elle prit un verre, le vida d'un trait et le brisa par terre . Un rictus cruel lui plissa les lèvres.

— Peut-être n'ai-je pourtant pas réellement pardonné ,

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