— Je ne me rappelle pas, je crois avoir mangé.
— Il faut reprendre des forces; tu as le visage défait, tu fais pitié. On m’a dit que tu n’as pas dormi de la nuit. Il y a eu « scéance » chez vous ? Et puis toutes ces céré- monies, ces manigances... Il faudrait au moins manger quelques racines... ou quelques sauterelles... Attends, j’ai un saucisson dans ma poche. Mais tu n’en voudras peut- être pas ?
— Donne.
— Hé ! hé 1 Alors c’est la révolution complète, les bar- ricades? Très-bien, viens chez moi, je boirais volontiers un coup de vodka ; je suis très-fatigué. Bien sûr, tu n’iras pas jusqu’à la vodka? Qui sait pourtant?
— Donne toujours.
— Hé I hé 1 voilà qui est étrange ! N’importe, le saucisson et la vodka ne sont pas à dédaigner.
Alioscha se leva sans parler et suivit Rakitine.
— Si ton frère Vagnetchka te voyait, c’est lui qui serait étonné! A propos, sais-tu qu’il est parti ce matin pour Moscou ?
— Je le sais, dit Alioscha d’un ton indifférent.
— Encore à propos... j’ai écrit à la Khokhlakov l’affaire du starets. Elle m’a répondu « qu’elle ne se serait jamais attendue à cela de sa part » . Elle est irritée, comme toi. Sais-tu, dit-il tout à coup d’une voix insinuante, où nous ferions bien d’aller?
— Où tu voudras.
— Allons chez Grouschegnka, hé? veux-tu ? dit Rakitioe tout tremblant d’attente.
— Soit, dit Alioscha tranquillement.