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Cette question le troublait. Il ne pouvait supporter cet affront infligé au juste entre les justes et ce reniement de la foule légère qu’il avait dominée de si haut. Qu’aucun miracle ne se soit produit, que l’attente générale ait été trompée, passe encore! Mais pourquoi cette honte, cette « décomposition précipitée », comme disaient les méchants moines, « qui devance la nature? Où est donc la Providence ? Où est sa main en tout ceci »? et le cœur d’Alioscha saignait. Ce qui était frappé en lui, c’était son amour pour son vénérable maître. De tristes idées se faisaient jour dans son esprit. Il se ressouvenait encore avec douleur de sa conversation avec son frère Ivan. Non pas que le fondement même de ses croyances fût ébranlé: il aimait toujours Dieu, mais il lui adressait de muets reproches. Une sorte de rage montait en lui et prenait le dessus parmi tous ses sentiments.

La nuit était proche. Rakitine, qui entrait dans le petit bois, aperçut Alioscha sous un arbre, étendu la face contre terre, immobile. Il vint à lui, l’appela.

— C’est toi, Alexey?... Est-ce toi qui...

Il n’acheva pas, il voulait dire : « Est-ce toi qui te laisses si aisément et si profondément décourager? »

Alioscha ne leva pas la tète, mais Rakitine, à un certain mouvement, comprit qu’il avait été entendu.

— Qu’as-tu donc? continua-t-il.

Un sourire ironique plissait ses lèvres.

— Écoute! je te cherche depuis plus de deux heures! Que fais-tu donc ici ? Regarde-moi, au moins !

Alioscha leva la tète, s’assit contre l’arbre. Il ne pleurait pas, mais son visage trahissait une grande souffrance; il