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— Il est fâché, qui peut savoir pourquoi? répondit évasivement Smerdiakov.

— Au diable sa fâcherie ! Donne le samovar et va-t’en. Rien de neuf?

Et les questions dont Smerdiakov se plaignait recommencèrent. Quelques minutes après, toute la maison était fermée. Le vieillard se mit à marcher de long en large dans la chambre, en proie à toute la fièvre de l’attente, espérant les cinq coups convenus et regardant parfois les fenêtres sombres. Mais il ne voyait rien, que la nuit.

Il était déjà très-tard, Ivan ne dormait pas, il réfléchissait. Il sentait qu’il perdait toute notion exacte des choses. Il était torturé d’étranges désirs ; ainsi tout à coup, à plus de minuit, une force invincible le poussait à descendre, à ouvrir la porte, à entrer dans l’office pour battre Smerdiakov. Il n’eût pu dire pourquoi, sinon parce qu’il détestait ce domestique. D’autre part, une inexplicable, une vile timidité l’envahissait; ses forces physiques mêmes l’abandonnaient, la tête lui tournait. Son cœur se serrait, il haïssait tout le monde en cet instant, même Alioscha et même lui-même. Il ne pensait plus à Katherina Ivanovna. Il songeait : « Moscou ! Mais quelle sottise ! c’est une fanfaronnade, tu n’iras pas ! » Puis il sortit sur le palier et écouta Fédor Pavlovitch marcher; il l’écouta pendant cinq longues minutes, avec une anxiété poignante; son cœur battait, la respiration lui manquait...

Tout s’était tu. Vers deux heures, Fédor Pavlovitch s’était couché. Ivan aussi se coucha et s’endormit d’un sommeil pesant, sans rêves. Il se réveilla à sept heures. En ouvrant les yeux, il se sentit une énergie extraordi-