Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/258

Cette page n’a pas encore été corrigée

OU leurs maîtresses, d’avoir des enfants ou de n’en pas avoir, — et ils nous obéiront avec joie. Us nous soumettront les plus pénibles secrets de leur conscience, et nous décide- rons en tout et pour tout, et ils recevront nos sentences avec allégresse, parce qu’elles les délivreront du cruel souci de choisir eux-mêmes et de se déterminer librement. Tous les millions d’êtres , ainsi, seront heureux, sauf une centaine de mille : sauf nous, les dépositaires du secret. Car nous serons malheureux. Les heureux se compte- ront par millions de millions, et il y aura cent mille martyrs de la connaissance, exclusive et maudite, du bien et du mal. Ils mourront paisiblement, ils s’étein- dront doucement en ton nom, et, au delà de la tombe, il ne verront que la mort. Pourtant, nous garderons le secret; nous les leurrerons, pour leur bonheur, d’une récompense éternelle dans le ciel. Car, s’il y a un autre monde, il n’est certes pas fait pour des êtres comme eux. On vaticine que tu reviendras, entouré de tes élus, de tes héros, et que tu vaincras : nous dirons que tes héros n’ont sauvé qu’eux-mêmes, et nous aurons, nous , sauvé le monde entier. On dit que la fornicatrice, assise sur la bète et tenant dans ses mains la coupe du mystère, sera déshonorée et que les faibles se révolteront encore , dé- chireront sa pourpre et dévoileront son corps impur. Mais je me lèverai alors et je te montrerai les milliers de milliers d’heureux qui n’ont pas connu le péché. Et nous, qui, pour leur bonheur, aurons assumé le poids de leurs fautes , nous nous dresserons devant toi , disant : « Juge- nous, si tu le peux et si tu l’oses 1 » Je ne te crains pas. Je suis allé au désert, moi aussi; moi aussi, j’ai vécu de