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drées par la liberté. Oh ! nous les convaincrons qu’ils ne seront vraiment libres qu’après nous avoir confié leur liberté. Mentirons-nous ? Nous dirons vrai, et ils sauront bien eux-mêmes que nous dirons vrai, lassés qu’ils seront des doutes et des terreurs qui accompagnent nécessai- rement ta liberté. L’indépendance, la libre pensée et la science les auront égarés dans de telles ténèbres , épou- vantés par de tels prodiges, fatigués de telles exigences, que les moins doux et les moins dociles d’entre eux se tueront eux-mêmes; d’autres, indociles aussi, mais faibles et violents, s’égorgeront mutuellement; et d’autres encore, troupeaux de lâches et de misérables , se traîneront à nos pieds en criant : « Oui, vous aviez raison! vous seuls pos- sédiez son secret et nous revenons à vous : sauvez-nous de nous-mêmes ! » Sans doute, les pains qu’ils recevront de nous, ils verront bien que nous les leur prenons pour les leur partager, ces pains obtenus par leur propre travail sans aucun miracle ; ils verront bien que nous ne chan- geons pas les pierres en pains 1 mais ce qui, en vérité, leur fera plus de plaisir que le pain même , ce sera de le recevoir de nous ! Car ils n’auront certes pas oublié qu’autrefois le pain se changeait en pierre entre leurs mains ; ils remarqueront que, depuis qu’ils sont retournés à nous, les pierres redeviendront des pains. Ils comprendront définitivement la valeur de la soumission! Et tant qu’ils ne l’auront pas comprise, ils souffriront. Qui, réponds-moi, qui a le plus contribué à cette intelligence? Qui a divisé le troupeau et l’a dispersé à travers des chemins inconnus ? Les brebis se rejoindront, le troupeau rentrera dans l’obéissance, et ce sera pour toujours. Alors nous douue-