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L’enfant crie ; puis il ne peut plus crier , il étouffe : c Papa ! papa ! petit papa ! » L’affaire va jusqu’au tribunal. On se procure un avocat. Il y a longtemps que les Russes appellent l'ablocat [1] conscience vénale. Et l’avocat défend son client : l’affaire est simple ! C’est une question d’intérieur : un père fouette sa fille ! Quelle honte que cela vienne devant un tribunal ! Le jury est convaincu, et rend une sentence de non-lieu. Le public accueille avec des larmes de joie l’acquittement du bourreau. Que n’étais-je là ! J’aurais proposé de créer une bourse en faveur de cet excellent homme!... Le joli tableau, hein? J’ai mieux encore, Alioscha. C’est une petite fille de cinq ans que ses père et mère ont prise en haine, t Une famille d’honorables fonctionnaires, instruits et bien éduqués. » C’est un goût assez commun dans l’humanité , celui de torturer les en- fants ; il va sans dire qu’avec les gens d’âge mûr, ces mêmes barbares, qui mettent les enfants à la question, sont doux, humains, affables. Au fait, c’est peut-être leur façon d’aimer l’enfance ! Les enfants sont sans défense : voilà, ce qui séduit la cruauté, c’est leur confiance angélique. Ils ne savent où aller, qui appeler, voilà ce qui irrite le sang des méchants. Certes, il y a une bête au fond de chaque homme; chez l’un, c’est un tigre ; chez l’autre, un porc, et tous deux jouissent aux cris d’une victime... Donc, ces excellents parents soumirent la fillette à d’horribles tortures : ils la battirent , fouettèrent , piétinèrent sans raison; tout son corps était bleu. Il y avait du raffinement dans leur atrocité : pendant les nuits de gel, ils enfer-

  1. Populaire, pour avocat.