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enfants, et souvent jusqu’à la folie. Les enfants, à sept ans, n’ont encore rien de l’homme. C’est comme une autre na- ture. J’ai connu un brigand : pendant sa carrière, il lui était arrivé de tuer des enfants; pourtant, en prison, il les ai- mait étrangement. Par sa fenêtre grillée , il ne regardait que les enfants qui s’amusaient dans la cour, il devint l’ami d’un petit gamin qui venait jouer sous sa fenêtre... Tu ne sais pas pourquoi je te dis tout cela ’?... J’ai mal à la tête, et je me sens triste.

— Tu as une physionomie singulière, remarqua Alioscha. On dirait que tu perds la tête...

— A propos ! ... Un Bulgare, naguère, me contait, à Moscou, continua Ivan comme s’il n’avait pas entendu son frère, — comment les Turcs, en Bulgarie, violent et égorgent les femmes et les enfants : ils clouent les oreilles des prisonniers à une clôture, les laissent ainsi jusqu’au matin, puis les pendent. On parle parfois de la cruauté de l’homme, et on la compare à celle des fauves : que c’est injuste pour ceux-ci ! les fauves n’ont pas la cruauté artistique des hommes. Imagine-toi un bébé encore à la mamelle, dans les bras de sa mère tremblante ; autour d’eux, les Turcs ! Une plaisante fantaisie leur vient : ils caressent l’enfant, rient pour le faire rire, y réussissent. A ce moment, un Turc braque sur lui un pistolet à bout portant. L’enfant rit joyeusement, tend ses petites mains u^r saisir le pistolet : tout à coup l'artiste presse la gachette et casse la tête de l’enfant. C’est esthétique, n’est-ce pas ? On dit que les Turcs aiment beaucoup les douceurs...

— Frère , pourquoi tout cela ?

— Je pense que l’homme a créé le diable à son image.