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Alioscha s’étonna, mais ne répondit point.

— Mes frères se perdent, mon père avec eux, et ils en entraînent d’autres dans leur perte. C’est la force de la terre^ spéciale aux Karamazov, comme dit le Père Païssi. Une force de la terre énorme, brute. Je ne sais si la Providence daignera brider cette force. Je sais seulement que je suis moi-même un Karamazov. . . Je suis un moine, un moine ! . . . un moine, disiez- vous tout à l’heure?...

— Oui, je l’ai dit.

— Eh bien, je ne crois peut-être même pas en Dieu.

— Vous? Que dites- vous?

Alioscha ne répondit pas. Il y avait dans ses paroles quelque chose de mystérieux, d’obscur, de trop spécial et dont il souffrait certainement.

— Et voilà que mon ami s’en va! Le plus grand, le meil- leur des hommes va quitter la terre! Je viens de le revoir au monastère. Il somnole, et bientôt il va s’endormir de l’autre sommeil, et si vous saviez, Liza, comme je suis lié, soudé spirituellement à cet homme ! Et voilà que je vais être seul... Je viendrai chez vous, Liza. Nous serons désor- mais toujours ensemble...

— Oui, ensemble, ensemble, dès aujourd’hui pour toute la vie! Écoutez, embrassez-moi, je vous le permets.

Alioscha l’embrassa.

— Maintenant, allez- vous-en 1 que le Christ soit avec vous! (Elle fit un signe de croix ) Allez chez lui pendant qu’il est encore de ce monde. Je suis cruelle de vous avoir

’ La force de la terre, expression russe : la somme d’énergie vitale et de tempérament qui caractérise une famille, une race, un peuple.