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gner pour élucider quelques doutes. Seulement, je vous prie de ne pas laisser Petre Alexandrovitch m’interrompre. Est-il vrai, vénérable Père, qu’on parle quelque part dans le Martyrologe d’un saint martyr qui, après avoir été décapité, ramassa sa tête, la baisa avec amour, et marcha longtemps en la tenant toujours et sans cesser de la baiser ? Est-ce vrai ou faux, mes bons Pères ?

— Ce n’est pas vrai, dit le starets.

— Rien de semblable ne se trouve dans le Martyrologe. Quel était ce saint ? demanda le Père bibliothécaire.

— Je ne sais pas son nom, je ne sais pas du tout. On m’aura trompé. Et c’est Petre Alexandrovitch Mioussov ici présent qui m’a fait ce conte.

— Jamais ! c’est faux ! D’ailleurs, quand vous ai-je parlé ?

— En effet, ce n’est pas à moi que vous parliez. Mais vous avez conté cette histoire dans une réunion où je me trouvais, il y a trois ans. Vous avez ébranlé ma foi par ce récit ridicule, Petre Alexandrovitch. Vous ne vous en doutiez guère, mais moi, je suis rentré chez moi, un peu incrédule ce soir-là, et, depuis, ma foi périclite de jour en jour. Oui, Petre Alexandrovitch, vous êtes la première cause de mon abaissement moral !

Fédor Pavlovitch était très-pathétique, bien que personne ne pût prendre au sérieux la farce qu’il jouait. Pourtant Mioussov se fâcha.

— Quelles sottises ! murmura-t-il. Autant de mots, autant de sottises ! J’ai pu dire, en effet, cela, jadis… Mais pas à vous ; on m’a raconté à moi-même cette plaisanterie… un Français… à Paris… un homme très-savant qui étudie