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16i LES FRÈRES KARAMAZOV.

— Ivan est sorti, dit-il. Il cherche à souffler à Mitia sa fiancée. C'est pour cela qu'il reste ici.

— Vous l'a-t-il (lit lui-nièine?

— Depuis longtemps, il y a trois semaines de cela. Ce n'est pas p;)ur m'assassiner qu'il est venu, et il a un but...

— Que dites-vous? pourquoi parlez-vous ainsi? dit avec angoisse Alioscha.

— Il ne me demande pas d'argent, d'ailleurs il n'aura rien. Moi, mon cher Alexey, j'ai l'intention de vivre le plus longtemps possible, que chacun se le tienne pour dit, et j'ai besoin de tous mes kopeks, car plus je vivrai, plus il m'en faudra, continua-t-il en marchant à grands pas à travers la chambre, les mains enfoncées dans les poches de son paletot taché et déchiré. Je n'ai que cinquante-sept ans, j'ai toutes mes forces et je compte en avoir pour une vingtaine d'années encore; or, je vieillirai, je deviendrai laid, les femmes ne viendront plus volontiers, — et il me faudra de l'argent! C'est pourquoi j'en amasse le plus pos- sible. C'est pour moi toutseul, mon cher Alexey Fédorovitch, sachez-le bien! car je ne changerai pas de vie, jusqu'à la fin, sachez-le bien... On est mieux dans la boue... Tout le monde me blûme, et pourtant tout le monde mène eu secret la vie que j'afliche au grand jour. Quant à ton paradis, Alexey, je n'en veux pas, entends-tu? D'ailleurs, ton paradis est inconvenant pour un homme bien élevé, — en admettant qu'il y ait un paradis ! Ou s'eaJort pour ne plus s'éveiller, voilà mon opinion. Souvenez-vous de moi, oubliez-moi, ça m'est égal. Voilà ma philosophie. Hier, Ivan a très-bien parlé là-dessus; nous étions soûls. D'ail- leurs, c'est un hâbleur, Ivan, un faux savant!...

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