Les vapeurs de l’ivresse lui montaient au cerveau.
— Alioscha, j’ai été grossier tout à l’heure avec ton starets. J’étais si surexcité !… C’est un homme d’esprit, ce starets ; qu’en penses-tu, Ivan ?
— Oui, peut-être.
— Oui, certainement, il y a du Piron là dedans[1]. C’est un jésuite, je veux dire un jésuite russe. Il s’indigne intérieurement d’être obligé de jouer la comédie, d’être obligé… d’endosser un vêtement de sainteté.
— Mais il croit en Dieu.
— Pas pour un kopek. Tu ne l’as pas compris ? Il le laisse entendre à tout le monde ! au moins à tous ceux qui savent ce que parler veut dire. Il a dit textuellement au gouverneur Schulz cette phrase : « Credo, mais je ne sais en quoi. »
— Vraiment ?
— C’est comme je te le dis, je l’estime. Il a quelque chose de Méphistophélès, ou mieux, du Héros de notre temps[2]… Arbénine[3], comment s’appelle-t-il ?… C’est un sensuel, crois-moi, et à tel point que je ne lui confierais pas volontiers, même maintenant, ma fille ou ma femme. Quand il commence à raconter, si tu savais !… Il y a trois ans, il nous invita à prendre chez lui du thé et des liqueurs (car les dames lui envoient des liqueurs) ; il se mit à nous raconter son ancien temps, on se tordait… Je me rappelle surtout comment il guérit une dame…