Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/132

Cette page n’a pas encore été corrigée

122 LES FRÈRES KARAMAZOV.

(lier cet art à Moscou. Smerdiakov y resta plusieurs années et en revint très-change, comme vieilli, ridé, jaune, sem- blable à un skopets'. Quant au moral, aussi taciturne qu'avant son départ. Mais il était devenu un excellent cui- sinier. Fédor Pavlovitch lui donna des gages que Smer- diakov dépensa en habits, pommades et cosmétiques. Il paraissait mépriser les femmes. Les crises étaient plus fré- quentes, ce qui inquiétait fort Fédor Pavlovitch, d'autant plus que, pendant les indispositions de Smerdiakov, Marfa faisait la cuisine.

— Tu devrais te marier, Smerdiakov, lui disait-il. Veux-tu? je vais te marier, hein?

Mais Smerdiakov ne répondait rien et devenait blême de dépit. Il était d'ailleurs d'une scrupuleuse honnêteté. Par exemple,un jour, Fédor Pavlovitch, étant ivre, perdit dans sa cour trois cents roubles qu'il venait de recevoir et ne s'en aperçut que le lendemain, en les voyant sur sa table : Smerdiakov les avait trouvés et apfjortés, la veille.

— Je n'ai jamais vu ton pareil I lui dit Fédor Pavlo\ itch. Et il lui donna dix roubles.

Un physionomiste n'aurait rien pu lire sur le visage de Smerdiakov : aucune pensée, du moins, mais seulement une sorte de rêverie. Le peintre kramski a fait un remanjuable tableau : te Rêveur. C'est une forêt, en hiver, au milieu de laquelle se tient un petit moujik vêtu d'un cafetan déchiré, chaussé de lapti. Il semble rélléchir, mais il ne réfléchit pas, il est perdu dans un rêve vague. Si on le touchait, il tressauterait et regarderait sans comprendre,

' Secte des Raskolniki (vieux croyants) voués à la castration.

�� �