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se rendit dans la cuisine du supérieur pour apprendre ce qu’avait fait Fédor Pavlovitch, et, tout en marchant, il s’efforçait de résoudre un problème qui s’imposait à lui. Il ne pensait pas que l’ordre de son père fût définitif ; il était convaincu que Fédor Pavlovitch ne voudrait pas lui causer une telle peine. Et qui eût pu vouloir lui nuire ? Mais il avait des craintes qu’il ne pouvait se définir à lui-même au sujet de cette jeune fille, de cette Katherina Ivanovna qui insistait tant pour le voir chez elle. Ce n’était pas ce qu’elle lui dirait qui l’inquiétait : c’était ce qu’il aurait à lui répondre. Et ce n’était pas la femme qu’il craignait : il avait été élevé par des femmes et les connaissait bien. Il craignait cette femme-là, précisément celle-là, Kalherina Ivanovna, et il l’avait crainte dès le premier regard. Or, tout au plus l’avait-il vue deux ou trois fois ; il se la rappelait comme une belle, orgueilleuse et dominatrice jeune fille, et il s’effrayait, en y songeant, de ce qu’il trouvait d’inexplicable dans la peur même qu’elle lui inspirait. H savait que Katherina n’avait que de nobles mobiles d’action, qu’elle s’efforçait de sauver Dmitri, coupable envers elle, et qu’elle n’agissait que par générosité : pourtant, malgré toute l’admiration qu’il lui avait vouée, il ne pouvait se défendre d’un frisson mystérieux chaque fois qu’il s’approchait de la maison où vivait la jeune fille.

Il calcula qu’en cet instant Ivan Fédorovitch, retenu par son père, n’était pas chez elle. Quant à Dmitri, il ne pouvait pas davantage être chez Katherina. Alioscha pourrait donc lui parler tête à tête : mais avant de la voir, il désirait parler à Dmitri. Où le prendre ? Il fit le signe de la