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— Le voilà, mon jeu, intact ! » Il l’éleva en l’air et le montra aux assistants. « Je l’ai vu opérer et substituer ses cartes aux miennes. Tu es un coquin, et non un pan.

— Et moi, j’ai vu l’autre pan tricher deux fois ! » dit Kalganov.

Grouchegnka joignit les mains en rougissant.

« Seigneur, quel homme est-il devenu ! Quelle honte, quelle honte !

— Je m’en doutais », fit Mitia.

Alors pan Wrublewski, confus et exaspéré, cria à Grouchegnka, en la menaçant du poing :

« Putain ! »

Mitia s’était déjà jeté sur lui ; il le saisit à bras-le-corps, le souleva, le porta en un clin d’œil dans la chambre où ils étaient déjà entrés.

« Je l’ai déposé sur le plancher ! annonça-t-il en rentrant essoufflé. Il se débat, la canaille, mais il ne reviendra pas !… »

Il ferma un battant de la porte et, tenant l’autre ouvert, il cria au petit pan :

« Jasnie Wielmozny, si vous voulez le suivre, je vous en prie !

— Dmitri Fiodorovitch, dit Tryphon Borissytch, reprends-leur donc ton argent ! C’est comme s’ils t’avaient volé.

— Moi, je leur fais cadeau de mes cinquante roubles, déclara Kalganov.

— Et moi, de mes deux cents. Que ça leur serve de consolation !

— Bravo, Mitia ! Brave cœur ! » cria Grouchegnka d’un ton où perçait une vive irritation.

Le petit pan, rouge de colère, mais qui n’avait rien perdu de sa dignité, se dirigea vers la porte ; tout à coup, il s’arrêta et dit à Grouchegnka :

« Panie, jezeli chec pojsc za mno, idzmy, jezeli nie, bywaj zdrowa »[1].

Suffoquant d’indignation et d’amour-propre blessé, il sortit d’un pas grave. Sa vanité était extrême ; même après ce qui s’était passé, il espérait encore que la pani le suivrait. Mitia ferma la porte.

« Enfermez-les à clef », dit Kalganov.

Mais la serrure grinça de leur côté, ils s’étaient enfermés eux-mêmes.

  1. Si tu veux me suivre, viens, sinon adieu.