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assis sur le canapé. Celui-ci retira gravement sa pipe de ses lèvres et dit d’un ton sévère :

« Panie[1], nous sommes ici en particulier. Il y a d’autres chambres.

— C’est vous, Dmitri Fiodorovitch, s’écria Kalganov. Prenez place, soyez le bienvenu !

— Bonjour, ami cher… et incomparable ! Je vous ai toujours estimé… répliqua Mitia avec un joyeux empressement, en lui tendant la main par-dessus la table.

— Aïe, vous m’avez brisé les doigts, dit Kalganov en riant.

— C’est sa manière de serrer la main », observa gaiement Grouchegnka avec un sourire timide.

Elle avait compris à l’air de Mitia qu’il ne ferait pas de tapage et l’observait avec une curiosité mêlée d’inquiétude. Quelque chose en lui la frappait, d’ailleurs elle ne s’attendait pas à une telle attitude de sa part.

« Bonjour », dit d’un ton doucereux le propriétaire foncier Maximov.

Mitia se tourna vers lui.

« Bonjour, vous voilà aussi, ça me fait plaisir. Messieurs, messieurs, je… (Il s’adressa de nouveau au pan à la pipe, le prenant pour le principal personnage.) J’ai voulu passer mes dernières heures dans cette chambre… où j’ai adoré ma reine !… Pardonne-moi, panie ! Je suis accouru et j’ai fait serment… Oh ! n’ayez crainte, c’est ma dernière nuit ! Buvons amicalement, panie ! On va nous servir du vin… J’ai apporté ceci. (Il sortit sa liasse de billets.) Je veux de la musique, du bruit, comme l’autre fois… Mais le ver inutile qui rampe à terre va disparaître ! Je me rappellerai ce moment de joie dans ma dernière nuit. »

Il suffoquait ; il aurait voulu dire beaucoup de choses, mais ne proférait que de bizarres exclamations. Le pan impassible regardait tour à tour Mitia, sa liasse de billets et Grouchegnka ; il paraissait perplexe.

« Jezeli powolit moja Krôlowa »… commença-t-il.

Mais Grouchegnka l’interrompit.

« Ce qu’ils m’agacent avec leur jargon !… Assieds-toi, Mitia. Qu’est-ce que tu racontes, toi aussi ! Ne me fais pas peur, je t’en prie. Tu le promets ? Oui ; alors, je suis contente de te voir.

  1. Vocatif de pan, monsieur, en polonais.