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cochère, Aliocha fut accueilli par les cris des jeunes garçons, camarades d’Ilioucha. Ils étaient venus douze, avec leurs sacs d’écoliers au dos. « Papa pleurera, soyez avec lui », leur avait dit Ilioucha en mourant, et les enfants s’en souvenaient. À leur tête était Kolia Krassotkine.

« Comme je suis content que vous soyez venu, Karamazov ! s’écria-t-il en tendant la main à Aliocha. Ici, c’est un spectacle affreux. Vraiment cela fait peine à voir. Sniéguiriov n’est pas ivre, nous sommes sûrs qu’il n’a pas bu aujourd’hui, et cependant il a l’air ivre… Je suis toujours ferme, mais c’est affreux. Karamazov, si cela ne vous retient pas, je vous poserai seulement une question, avant d’entrer. »

Aliocha s’arrêta.

« Qu’y a-t-il, Kolia ?

— Votre frère est-il innocent ou coupable ? Est-ce lui qui a tué son père, ou le valet ? Je croirai ce que vous direz. Je n’ai pas dormi durant quatre nuits à cause de cette idée.

— C’est Smerdiakov qui a tué, mon frère est innocent, répondit Aliocha.

— C’est aussi mon opinion ! s’écria le jeune Smourov.

— Ainsi, il succombe comme une victime innocente pour la vérité ? s’exclama Kolia. Tout en succombant, il est heureux ! Je suis prêt à l’envier !

— Comment pouvez-vous dire cela, et pourquoi ? fit Aliocha surpris.

— Oh ! si je pouvais un jour me sacrifier à la vérité ! proféra Kolia avec enthousiasme.

— Mais pas dans une telle affaire, pas avec un tel opprobre, dans des circonstances aussi horribles !

— Assurément… je voudrais mourir pour l’humanité tout entière, et quant à la honte, peu importe : périssent nos noms. Je respecte votre frère !

— Moi aussi ! » s’écria tout à fait inopinément le même garçon qui avait prétendu naguère connaître les fondateurs de Troie. Et tout comme alors, il devint rouge comme une pivoine.

Aliocha entra. Dans le cercueil bleu, orné d’une ruche blanche, Ilioucha était couché, les mains jointes, les yeux fermés. Les traits de son visage amaigri avaient à peine changé, et chose étrange, le cadavre ne sentait presque pas. L’expression était sérieuse et comme pensive. Les mains surtout étaient belles, comme taillées dans du marbre. On y avait mis des fleurs. Le cercueil entier, au-dedans et au-dehors, était orné de fleurs envoyées de grand matin par