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que son fils lui réclame comme l’héritage de sa mère. Oui, je conviens que la pilule est amère ! Il y avait de quoi devenir maniaque. Et ce n’était pas l’argent qui importait, mais le cynisme répugnant qui conspirait contre son bonheur, avec cet argent même ! »

Ensuite Hippolyte Kirillovitch aborda la genèse du crime dans l’esprit de l’accusé, en s’appuyant sur les faits.

« D’abord, nous nous bornons à brailler dans les cabarets durant tout ce mois. Nous exprimons volontiers tout ce qui nous passe par la tête, même les idées les plus subversives ; nous sommes expansif, mais, on ne sait pourquoi, nous exigeons que nos auditeurs nous témoignent une entière sympathie, prennent part à nos peines, fassent chorus, ne nous gênent en rien. Sinon gare à eux ! (Suivait l’anecdote du capitaine Sniéguiriov.) Ceux qui ont vu et entendu l’accusé durant ce mois eurent finalement l’impression qu’il ne s’en tiendrait pas à de simples menaces contre son père, et que, dans son exaspération, il était capable de les réaliser. (Ici le procureur décrivit la réunion de famille au monastère, les conversations avec Aliocha et la scène scandaleuse chez Fiodor Pavlovitch, chez qui l’accusé avait fait irruption après dîner.) Je ne suis pas sûr, poursuivit Hippolyte Kirillovitch, qu’avant cette scène l’accusé eût déjà résolu de supprimer son père. Mais cette idée lui était déjà venue : les faits, les témoins et son propre aveu le prouvent. J’avoue, messieurs les jurés, que jusqu’à ce jour j’hésitais à croire à la préméditation complète. J’étais persuadé qu’il avait envisagé à plusieurs reprises ce moment fatal, mais sans préciser la date et les circonstances de l’exécution. Mon hésitation a cessé en présence de ce document accablant, communiqué aujourd’hui au tribunal par Mlle Verkhovtsev. Vous avez entendu, messieurs, son exclamation : « C’est le plan, le programme de l’assassinat ! » Voilà comment elle a défini cette malheureuse lettre d’ivrogne. En effet, cette lettre établit la préméditation. Elle a été écrite deux jours avant le crime, et nous savons qu’à ce moment, avant la réalisation de son affreux projet, l’accusé jurait que s’il ne trouvait pas à emprunter le lendemain, il tuerait son père pour prendre l’argent sous son oreiller, « dans une enveloppe, ficelée d’une faveur rose, dès qu’Ivan serait parti ». Vous entendez : « dès qu’Ivan serait parti » ; par conséquent, tout est combiné, et tout s’est passé comme il l’avait écrit. La préméditation ne fait aucun doute, le crime avait le vol pour mobile, c’est écrit et signé. L’accusé ne renie pas sa signature. On