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rappelai et il me fit de nouveau pitié. On l’emmena et je ne le vis plus. Vingt-trois ans après, je me trouvais un matin dans mon cabinet, la tête déjà blanche, quand un jeune homme florissant que j’étais incapable de reconnaître entra soudain, leva le doigt et dit en riant : « Gott der Vater, Gott der Sohn und Gott der heilige Geist ! Je viens d’arriver et je tiens à vous remercier pour la livre de noisettes, car personne à part vous ne m’en a jamais acheté. » Je me rappelai alors mon heureuse jeunesse et le pauvre enfant nu-pieds ; je fus retourné et lui dis : « Tu es un jeune homme reconnaissant, puisque tu n’as pas oublié cette livre de noisettes que je t’ai apportée dans ton enfance. » Je le serrai dans mes bras et je le bénis en pleurant. Il riait… car le Russe rit souvent quand il faudrait pleurer. Mais il pleurait aussi, je l’ai vu. Et maintenant, hélas !…

— Et maintenant, je pleure, Allemand, et maintenant je pleure, homme de Dieu ! » cria tout à coup Mitia.

Quoi qu’il en soit, cette historiette produisit une impression favorable. Mais le principal effet en faveur de Mitia fut produit par la déposition de Catherine Ivanovna, dont je vais parler. En général, quand ce fut le tour des témoins à décharge[1], le sort parut sourire à Mitia, inopinément pour la défense elle-même. Mais avant Catherine Ivanovna, on interrogea Aliocha, qui se rappela soudain un fait paraissant réfuter positivement un des points les plus graves de l’accusation.


IV

La chance sourit à Mitia

Cela se passa à l’improviste. Aliocha, qui n’avait pas prêté serment, fut dès le début l’objet d’une vive sympathie, tant d’un côté que de l’autre. On voyait que sa bonne renommée le précédait. Il se montra modeste et réservé, mais son affection pour son malheureux frère perçait dans sa déposition. Il le caractérisa comme un être sans doute violent et entraîné par ses passions, mais noble, fier, généreux, capable de se

  1. En français dans le texte.