lui parlait son ancien domestique, sortait de l’ordinaire.
« Je vous dis que vous n’avez rien à craindre. Je ne déposerai pas contre vous, il n’y a pas de preuves. Voyez comme vos mains tremblent. Pourquoi ça ? Retournez chez vous, ce n’est pas vous l’assassin ! »
Ivan tressaillit, il se souvint d’Aliocha.
« Je sais que ce n’est pas moi… murmura-t-il.
— Vous le sa-vez ? »
Ivan se leva, le saisit par l’épaule.
« Parle, vipère ! Dis tout ! »
Smerdiakov ne parut nullement effrayé. Il regarda seulement Ivan avec une haine folle.
« Alors, c’est vous qui avez tué, si c’est comme ça », murmura-t-il avec rage.
Ivan se laissa retomber sur sa chaise, paraissant méditer. Enfin il sourit méchamment.
« C’est toujours la même histoire, comme l’autre fois ?
— Oui, vous compreniez très bien la dernière fois, et vous comprenez encore maintenant.
— Je comprends seulement que tu es fou.
— Vraiment ! Nous sommes ici en tête à tête, à quoi bon nous duper, nous jouer mutuellement la comédie ? Voudriez-vous encore tout rejeter sur moi seul, à ma face ? Vous avez tué, c’est vous le principal assassin, je n’ai été que votre auxiliaire, votre fidèle instrument[1], vous avez suggéré, j’ai accompli.
— Accompli ? C’est toi qui as tué ? »
Il eut comme une commotion au cerveau, un frisson glacial le parcourut. À son tour, Smerdiakov le considérait avec étonnement, l’effroi d’Ivan le frappait enfin par sa sincérité.
« Ne saviez-vous donc rien ? » dit-il avec méfiance.
Ivan le regardait toujours, sa langue était comme paralysée.
« Pour Piter est parti Vanka,
Je ne l’attendrai pas. »
crut-il soudain entendre.
- ↑ Il y a dans le texte : « votre fidèle Litcharda » , expression courante empruntée au conte populaire de Bova fils de roi, dernier avatar de notre chanson de geste Bueves d’Hanstone – XIIIème siècle –, qui gagna la Russie par des intermédiaires italiens et serbes et y devint très populaire dès le XVIIème siècle. Litcharda est une déformation de Richard, nom du fidèle serviteur de la reine Blonde.