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est honnête, mais sot. Il y a beaucoup de gens honnêtes par bêtise. C’est une idée de Rakitine. Grigori m’est hostile. Il vaudrait mieux avoir telle personne pour ennemi que pour ami. Je dis cela à propos de Catherine Ivanovna. J’ai bien peur qu’elle ne parle à l’audience du salut jusqu’à terre qu’elle me fît lorsque je lui prêtai les quatre mille cinq cents roubles ! Elle voudra s’acquitter jusqu’au dernier sou. Je ne veux pas de ses sacrifices. J’en aurai honte à l’audience ! Va la trouver, Aliocha, demande-lui de n’en pas parler. Serait-ce impossible ? Tant pis, je le supporterai ! Je ne la plains pas. C’est elle qui le veut. Le voleur n’aura que ce qu’il mérite. Je ferai un discours, Alexéi. (Il eut de nouveau un sourire amer.) Seulement… seulement, il y a Groucha, Seigneur ! Pourquoi souffre-t-elle tant, maintenant ? s’écria-t-il avec des larmes. Cela me tue de penser à elle. Elle était là, tantôt…

— Elle m’a tout raconté. Tu lui as fait beaucoup de peine aujourd’hui.

— Je sais. Quel maudit caractère que le mien ! Je lui ai fait une scène de jalousie. J’avais du regret quand elle est partie, je l’ai embrassée. Je ne lui ai pas demandé pardon.

— Pourquoi ? »

Mitia se mit à rire gaiement.

« Que Dieu te préserve, mon cher, de jamais demander pardon à la femme que tu aimes ! Surtout à la femme que tu aimes, et quels que soient tes torts envers elle ! Car la femme, frère, qui diable sait ce que c’est ? Moi, en tout cas, je les connais, les femmes ! Essaie donc de reconnaître tes torts : « C’est ma faute, pardon, excuse-moi », tu essuieras une grêle de reproches ! Jamais un pardon franc, simple ; elle commencera par t’humilier, t’avilir, elle te reprochera des torts imaginaires, et alors seulement te pardonnera. La meilleure d’entre elles ne te fera pas grâce des plus petites choses. Telle est la férocité de toutes les femmes sans exception, de ces anges sans lesquels nous ne pourrions vivre ! Vois-tu, mon bien cher, je le dis franchement : tout homme convenable doit être sous la pantoufle d’une femme. C’est ma conviction, ou plutôt mon sentiment. L’homme doit être généreux ; cela ne rabaisse pas, même un héros, même César. Mais ne demande jamais pardon, à aucun prix. Rappelle-toi cette maxime, elle vient de ton frère Mitia que les femmes ont perdu. Non, je réparerai mes torts envers Grouchegnka sans lui demander pardon. Je la vénère, Alexéi, mais elle ne le remarque pas ; je ne l’aime jamais assez à son idée. Elle me fait souffrir avec cet amour. Auparavant, je souffrais de ses détours perfides,