pour trois mille roubles, moi je vais en récolter cent cinquante mille ; j’épouse une veuve et je vais acheter une maison à Pétersbourg. » Il me raconta qu’il faisait la cour à la Khokhlakov ; elle n’avait guère d’esprit dans sa jeunesse et à quarante ans il ne lui en restait plus du tout. « Oui, elle est fort sensible, me dit-il, c’est comme ça que je l’aurai. Je l’épouse, je l’emmène à Pétersbourg, je vais fonder un journal. » Et l’eau lui venait à la bouche, pas à cause de la Khokhlakov bien sûr, mais à cause des cent cinquante mille roubles. Il était sûr de lui, il venait me voir tous les jours. « Elle faiblit », me disait-il radieux. Et voilà qu’on l’a mis à la porte ; Perkhotine lui a donné un croc-en-jambe, bravo ! J’embrasserais volontiers cette dinde pour l’avoir congédié. C’est alors qu’il avait fait ces vers. « Pour la première fois, me dit-il, je m’abaisse à écrire des vers, pour séduire, donc pour une œuvre utile. En possession de la fortune d’une sotte, je puis me rendre utile à la société. » L’utilité publique sert d’excuse à toutes les bassesses de ces gens-là ! « Et pourtant, prétend-il, j’écris mieux que Pouchkine, car j’ai su exprimer, dans des vers badins, ma tristesse civique. » Je comprends ce qu’il dit de Pouchkine : pourquoi s’est-il borné à décrire des pieds, s’il avait vraiment du talent ?… Comme il était fier de ses vers, l’animal ! Ah ! l’amour-propre des poètes ! Pour le rétablissement du pied de l’objet aimé, voilà le titre qu’il a imaginé, le folâtre !
Il cause du tourment
Ce petit pied charmant.
Les docteurs le font souffrir
Sous prétexte de le guérir.
Ce n’est pas les pieds que je plains,
Pouchkine peut les chanter ;
C’est la tête que je plains,
La tête rebelle aux idées.
Elle commençait à comprendre
Quand le pied vint la gêner.
Ah ! que ce pied guérisse vite,
Alors la tête comprendra !
C’est un salaud, mais ses vers ont de l’enjouement ! Et il