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Depuis un an, il étudiait les Évangiles apocryphes et faisait part à chaque instant de ses impressions à son jeune ami. Autrefois, il allait même le voir au monastère et discutait des heures entières avec lui et les religieux. Bref, si Aliocha arrivait en retard à la prison, il n’avait qu’à passer chez lui et l’affaire s’arrangeait. De plus, le personnel, jusqu’au dernier gardien, était accoutumé à lui. Le factionnaire ne faisait naturellement pas de difficultés, pourvu qu’on eût une autorisation. Quand on demandait Mitia, celui-ci descendait toujours au parloir. En entrant, Aliocha rencontra Rakitine qui prenait congé de son frère. Tous deux parlaient haut. Mitia, en le reconduisant, riait beaucoup, et l’autre paraissait bougonner. Rakitine, surtout les derniers temps, n’aimait pas à rencontrer Aliocha ; il ne lui parlait guère et le saluait même avec raideur. En le voyant entrer, il fronça les sourcils, détourna les yeux, parut fort occupé à boutonner son pardessus chaud au col de fourrure. Puis il se mit à chercher son parapluie.

« Pourvu que je n’oublie rien ! fit-il pour dire quelque chose.

— Surtout, n’oublie pas ce qui n’est pas à toi ! » dit Mitia en riant.

Rakitine prit feu aussitôt.

« Recommande cela à tes Karamazov, race d’exploiteurs, mais pas à Rakitine ! s’écria-t-il tremblant de colère.

— Qu’est-ce qui te prend ? Je plaisantais… Ils sont tous ainsi, dit-il à Aliocha en désignant Rakitine qui sortait rapidement : il riait, il était gai, et le voilà qui s’emporte ! Il ne t’a même pas salué. Êtes-vous brouillés ? Pourquoi viens-tu si tard ? Je t’ai attendu toute la journée avec impatience. Ça ne fait rien. Nous allons nous rattraper.

— Pourquoi vient-il si souvent te voir ? Tu t’es lié avec lui ?

— Pas précisément. C’est un salaud ! Il me prend pour un misérable. Surtout, il n’entend pas la plaisanterie. C’est une âme sèche, il me rappelle les murs de la prison, tels que je les vis en arrivant. Mais il n’est pas bête… Eh bien, Alexéi, je suis perdu maintenant ! »

Il s’assit sur un banc, indiqua une place auprès de lui à Aliocha.

« Oui, c’est demain le jugement. N’as-tu vraiment aucun espoir, frère ?

— De quoi parles-tu ? fit Mitia, le regard vague. Ah ! oui, du jugement. Bagatelle que cela. Parlons de l’essentiel. Oui, on me juge demain, mais ce n’est pas ce qui m’a fait dire que je suis perdu. Je ne crains pas pour ma tête, seulement ce qu’il