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Aliocha. Et qu’est-ce que le ridicule ? Sait-on combien de fois un homme est ou paraît ridicule ? De plus, actuellement, presque tous les gens capables craignent fort le ridicule, ce qui les rend malheureux. Je m’étonne seulement que vous souffriez à un tel point de ce mal que j’observe depuis longtemps, en particulier, chez beaucoup d’adolescents. C’est presque une folie. Le diable s’est incarné dans l’amour-propre pour s’emparer de la génération actuelle, oui, le diable, insista Aliocha sans sourire, comme le crut Kolia qui le fixait. Vous êtes comme tous les autres, conclut-il, c’est-à-dire comme beaucoup ; seulement il ne faut pas être comme tous les autres.

— Quand même tous sont ainsi ?

— Oui, quand même tous sont ainsi. Seul vous ne serez pas comme eux. En réalité, vous n’êtes pas comme tout le monde, vous n’avez pas rougi d’avouer un défaut et même un ridicule. Or, actuellement, qui en est capable ? Personne, on n’éprouve même plus le besoin de se condamner soi-même. Ne soyez pas comme tout le monde quand bien même vous resteriez seul.

— Très bien… Je ne me suis pas trompé sur votre compte. Vous êtes capable de consoler. Oh, comme je me sentais attiré vers vous, Karamazov ! Depuis longtemps j’aspire à vous rencontrer. Se peut-il que vous pensiez aussi à moi ? Vous le disiez tout à l’heure ?

— Oui, j’ai entendu parler de vous et je pensais aussi à vous… Et si c’est en partie l’amour-propre qui vous a incité à poser cette question, peu importe !

— Savez-vous, Karamazov, que notre explication ressemble à une déclaration d’amour, insinua Kolia d’une voix faible et comme honteuse. N’est-ce pas ridicule ?

— Pas du tout, et même si c’était ridicule ça ne ferait rien, parce que c’est bien, affirma Aliocha avec un clair sourire.

— Convenez, Karamazov, que vous-même, maintenant, avez un peu honte aussi… Je le vois à vos yeux. »

Kolia sourit d’un air rusé, mais presque heureux.

« Qu’y a-t-il là de honteux ?

— Pourquoi avez-vous rougi ?

— Mais c’est vous qui m’avez fait rougir ! dit en riant Aliocha, devenu tout rouge, en effet. Eh bien oui, j’ai un peu honte. Dieu sait pourquoi, je l’ignore… murmura-t-il presque gêné.

— Oh ! comme je vous aime et vous apprécie en ce moment,