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— Que le diable emporte Tchijov et toi avec ! Je le rosserai, ma parole, Il s’est fichu de moi !

— Toi, rosser Tchijov ? C’est lui qui te rossera, espèce de serin !

— C’est pas Tchijov, méchante gale, c’est le gamin que je rosserai. Amenez-le, amenez-le, il s’est fichu de moi ! »

Les bonnes femmes éclatèrent de rire. Kolia était déjà loin et cheminait d’un air vainqueur. Smourov, à ses côtés, se retournait parfois vers le groupe criard. Lui aussi s’amusait beaucoup, tout en appréhendant d’être mêlé à une histoire avec Kolia.

« De quel Sabanéiev lui parlais-tu ? demanda-t-il à Kolia, en se doutant de la réponse.

— Qu’est-ce que j’en sais ? Maintenant, ils vont se chamailler jusqu’au soir. J’aime à mystifier les imbéciles dans toutes les classes de la société… Tiens, voilà encore un nigaud. Note ceci ; on dit : « Il n’est pire sot qu’un sot français », mais une physionomie russe se trahit également. Regarde-moi ce bonhomme-là : n’est-ce pas écrit sur son front qu’il est un imbécile ?

— Laisse-le tranquille, Kolia, passons notre chemin.

— Jamais de la vie, je suis parti, maintenant. Hé ! bonjour, mon gars ! »

Un robuste individu, qui marchait lentement et semblait pris de boisson, la figure ronde et naïve, la barbe grisonnante, leva la tête et dévisagea l’écolier.

« Bonjour, si tu ne plaisantes pas, répondit-il sans se presser.

— Et si je plaisante ? dit Kolia en riant.

— Alors, plaisante, si le cœur t’en dit. On peut toujours plaisanter, ça ne fait de mal à personne.

— Excuse-moi, j’ai plaisanté.

— Eh bien, que Dieu te pardonne !

— Et toi, me pardonnes-tu ?

— De grand cœur. Passe ton chemin.

— Tu m’as l’air d’un gars pas bête.

— Moins bête que toi, répondit l’autre avec le même sérieux.

— J’en doute, fit Kolia un peu déconcerté.

— C’est pourtant vrai.

— Après tout, ça se peut bien.

— Je sais ce que je dis.

— Adieu, mon gars.

— Adieu.