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quitte pas. Je l’ai rassurée, je lui ai fait comprendre que tu devais te justifier, qu’il ne fallait pas te troubler, sinon tu aggraverais les charges contre toi, comprends-tu ? Bref, elle a saisi, elle est intelligente et bonne, elle voulait me baiser les mains, demandant grâce pour toi. C’est elle qui m’a envoyé te rassurer, il faut que je puisse lui dire que tu es tranquille à son sujet. Calme-toi donc. Je suis coupable devant elle, c’est une âme tendre et innocente. Puis-je lui dire, Dmitri Fiodorovitch, que tu seras calme ? »

Le bonhomme était ému de la douleur de Grouchegnka, il avait même les larmes aux yeux. Mitia s’élança vers lui.

« Pardon, messieurs, permettez, je vous en prie. Vous êtes un ange, Mikhaïl Makarovitch, merci pour elle. Je serai calme, je serai gai ; dites-le-lui dans votre bonté ; je vais même me mettre à rire, sachant que vous veillez sur elle. Je terminerai bientôt cela, sitôt libre, je cours à elle, qu’elle prenne patience ! Messieurs, je vais vous ouvrir mon cœur, nous allons terminer tout cela gaiement, nous finirons par rire ensemble, n’est-ce pas ? Messieurs, cette femme, c’est la reine de mon âme ! Oh ! laissez-moi vous le dire… Je crois que vous êtes de nobles cœurs. Elle éclaire et ennoblit ma vie. Oh ! si vous saviez ! Vous avez entendu ses cris : « J’irais avec toi à la mort ! » Que lui ai-je donné, moi qui n’ai rien ? Pourquoi un pareil amour ? Suis-je digne, moi, vile créature, d’être aimé au point qu’elle me suive au bagne ? Tout à l’heure, elle se traînait à vos pieds pour moi, elle si fière et innocente ! Comment ne pas l’adorer, ne pas m’élancer vers elle ? Messieurs, pardonnez-moi ! Maintenant, me voilà consolé ! »

Il tomba sur une chaise et, se couvrant le visage de ses mains, se mit à sangloter. Mais c’étaient des larmes de joie. Le vieil ispravnik paraissait ravi, les juges également ; ils sentaient que l’interrogatoire entrait dans une phase nouvelle. Quand l’ispravnik fut sorti, Mitia devint gai.

« Eh bien, messieurs, à présent je suis tout à vous… N’étaient tous ces détails, nous nous entendrions aussitôt. Messieurs, je suis à vous, mais il faut qu’une confiance mutuelle règne entre nous, sinon nous n’en finirons jamais. C’est pour vous que je parle. Au fait, messieurs, au fait ! Surtout ne fouillez pas dans mon âme, ne la torturez pas avec des bagatelles, tenez-vous-en à l’essentiel, et je vous donnerai satisfaction. Au diable, les détails ! »

Ainsi parla Mitia. L’interrogatoire recommença.