Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/106

Cette page n’a pas encore été corrigée

suis le seul de mon espèce !… Messieurs, j’ai mal à la tête. Voyez-vous, tout me dégoûtait en lui : son extérieur, je ne sais quoi de malhonnête, sa vantardise et son mépris pour tout ce qui est sacré, sa bouffonnerie et son irréligion. Mais maintenant qu’il est mort, je pense autrement.

— Comment cela, autrement ?

— C’est-à-dire non, pas autrement, mais je regrette de l’avoir tant détesté.

— Vous éprouvez des remords ?

— Non, pas des remords, ne notez pas cela. Moi-même, messieurs, je ne brille ni par la bonté ni par la beauté ; aussi n’avais-je pas le droit de le trouver répugnant. Vous pouvez noter cela. »

Ayant ainsi parlé, Mitia parut fort triste. Il devenait de plus en plus morne à mesure qu’il répondait aux questions du juge. C’est à ce moment que se déroula une scène inattendue. Bien qu’on eût éloigné Grouchegnka, elle se trouvait dans une chambre proche de celle où avait lieu l’interrogatoire, en compagnie de Maximov, abattu et terrifié, qui s’attachait à elle comme à une ancre de salut. Un individu à plaque de métal gardait la porte. Grouchegnka pleurait ; tout à coup, incapable de résister à son chagrin, après avoir crié : « Malheur, malheur ! » elle courut hors de la chambre vers son bien-aimé, si brusquement que personne n’eut le temps de l’arrêter. Mitia, qui l’avait entendue, frémit, se précipita à sa rencontre. Mais on les empêcha de nouveau de se rejoindre. On le saisit par les bras, il se débattit avec acharnement, il fallut trois ou quatre hommes pour le maintenir. On s’empara aussi de Grouchegnka et il la vit qui lui tendait les bras tandis qu’on l’emmenait. La scène passée, il se retrouva à la même place, en face du juge.

« Pourquoi la faire souffrir ? s’écria-t-il. Elle est innocente !… »

Le procureur et le juge s’efforcèrent de le calmer. Dix minutes s’écoulèrent ainsi.

Mikhaïl Makarovitch, qui était sorti, rentra et dit tout ému :

« Elle est en bas. Me permettez-vous, messieurs, de dire un mot à ce malheureux ? En votre présence, bien entendu.

— Comme il vous plaira, Mikhaïl Makarovitch, nous n’y voyons aucun inconvénient, dit le juge.

— Dmitri Fiodorovitch, écoute, mon pauvre ami, commença le brave homme, dont le visage exprimait une compassion presque paternelle. Agraféna Alexandrovna se trouve en bas, avec les filles du patron ; le vieux Maximov ne la