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dit-on, se repent rarement, car les doctrines contemporaines le confirment dans l’idée que son crime n’est pas un crime, mais une simple révolte contre la force qui l’opprime injustement. La société le retranche d’elle-même par une force qui triomphe de lui tout à fait mécaniquement et accompagne cette exclusion de haine (c’est ainsi, du moins, qu’on le raconte en Europe) — de haine, dis-je, et d’une indifférence, d’un oubli complets à l’égard de la destinée ultérieure de cet homme. De la sorte, tout se passe sans que l’Église témoigne la moindre pitié, car dans bien des cas il n’y a déjà plus d’Église là-bas : il ne subsiste que des ecclésiastiques et des édifices magnifiques ; les Églises elles-mêmes s’efforcent depuis longtemps de passer du type inférieur au type supérieur, de devenir des États. Il en est ainsi du moins, paraît-il, dans les contrées luthériennes. À Rome, il y a déjà mille ans que l’Église s’est proclamée État. Aussi le criminel lui-même ne se reconnaît-il pas pour membre de l’Église ; excommunié, il tombe dans le désespoir. S’il retourne dans la société, c’est fréquemment avec une telle haine que la société elle-même le retranche spontanément de son sein. Vous pouvez juger comment cela finit. Dans de nombreux cas, il semble qu’il en aille de même chez nous ; mais en fait, en plus des tribunaux établis, nous avons l’Église, et cette Église ne perd jamais le contact avec le criminel, qui demeure pour elle un fils toujours cher ; de plus, il existe et subsiste, ne fût-ce qu’en idée, la justice de l’Église, sinon effective maintenant, du moins vivante pour l’avenir, et reconnue certainement par le criminel lui-même, par l’instinct de son âme. Ce que l’on vient de dire ici est juste, à savoir que si la justice de l’Église entrait en vigueur, c’est-à-dire si la société entière se convertissait en Église, alors non seulement la justice de l’Église influerait sur l’amendement du criminel bien autrement qu’à l’heure actuelle, mais les crimes eux-mêmes diminueraient dans une proportion incalculable. Et l’Église, à n’en pas douter, comprendrait à l’avenir, dans bien des cas, le crime et les criminels d’une façon toute différente d’à présent ; elle saurait ramener à elle l’excommunié, prévenir les intentions criminelles, régénérer le déchu. Il est vrai, conclut le starets en souriant, que la société chrétienne n’est pas encore prête et ne repose que sur sept justes ; mais comme ils ne faiblissent pas, elle demeure dans l’attente de sa transformation complète d’association presque païenne en Église unique, universelle et régnante. Ainsi sera-t-il, ne fût-ce qu’à la fin des siècles, car cela seul est prédestiné à s’accomplir ! Il n’y