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y avoir un péché qui dépasse l’amour de Dieu ? Ne songe qu’au repentir et bannis toute crainte. Crois que Dieu t’aime comme tu ne peux te le figurer, bien qu’il t’aime dans ton péché et avec ton péché. Il y aura plus de joie dans les cieux pour un pécheur qui se repent que pour dix justes[1]. Ne t’afflige pas au sujet des autres et ne t’irrite pas des injures. Pardonne dans ton cœur au défunt toutes ses offenses envers toi, réconcilie-toi avec lui en vérité. Si tu te repens, c’est que tu aimes. Or, si tu aimes, tu es déjà à Dieu… L’amour rachète tout, sauve tout. Si moi, un pécheur comme toi, je me suis attendri, à plus forte raison le Seigneur aura pitié de toi. L’amour est un trésor si inestimable qu’en échange tu peux acquérir le monde entier et racheter non seulement tes péchés, mais ceux des autres. Va et ne crains rien. »

Il fit trois fois sur elle le signe de la croix, ôta de son cou une petite image et la passa au cou de la pécheresse, qui se prosterna en silence jusqu’à terre. Il se leva et regarda gaiement une femme bien portante qui tenait un nourrisson sur les bras.

« Je viens de Vychégorié, bien-aimé.

— Tu as fait près de deux lieues avec cet enfant sur les bras ! Que veux-tu ?

— Je suis venue te voir. Ce n’est pas la première fois, l’as-tu déjà oublié ? Tu as peu de mémoire si tu ne te souviens pas de moi. On disait chez nous que tu étais malade. « Eh bien ! pensai-je, je vais aller le voir ! » Je te vois et tu n’as rien. Tu vivras encore vingt ans, ma parole. Comment pourrais-tu tomber malade quand il y a tant de gens qui prient pour toi !

— Merci de tout cœur, ma chère.

— À propos, j’ai une petite demande à t’adresser : voilà soixante kopecks, donne-les à une autre plus pauvre que moi. En venant je songeais : « Mieux vaut les lui remettre ; il saura à qui les donner. »

— Merci, ma chère, merci, ma bonne, je n’y manquerai pas. Tu me plais. C’est une fillette que tu as dans les bras ?

— Une fillette, bien-aimé, Elisabeth.

— Que le Seigneur vous bénisse toutes les deux, toi et la petite Elisabeth. Tu as réjoui mon cœur, mère. Adieu, mes chères filles. »

Il les bénit toutes et leur fit une profonde révérence.

  1. Luc, XV, 7. Le texte exact de l’Évangile est : « …que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de pénitence ».