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Le starets prit place sur un petit divan de cuir – meuble fort ancien – et fit asseoir ses hôtes en face de lui, sur quatre chaises d’acajou, recouvertes d’un cuir fort usé. Les religieux s’installèrent de côté, l’un à la porte, l’autre à la fenêtre. Le séminariste, Aliocha et le novice restèrent debout. La cellule n’était guère vaste et avait l’air fanée. Elle ne contenait que quelques meubles et objets grossiers, pauvres, le strict nécessaire : deux pots de fleurs à la fenêtre ; dans un angle, de nombreuses icônes, dont l’une représentait une Vierge de grandes dimensions, peinte probablement longtemps avant le Raskol[1] ; une lampe brûlait devant elle. Non loin, deux autres icônes aux revêtements étincelants, puis deux chérubins sculptés, de petits œufs en porcelaine, un crucifix en ivoire, avec une Mater dolorosa qui l’étreignait, et quelques gravures étrangères, reproductions de grands peintres italiens des siècles passés. Auprès de ces œuvres de prix s’étalaient des lithographies russes à l’usage du peuple, portraits de saints, de martyrs, de prélats, qui se vendent quelques kopeks dans toutes les foires. Mioussov jeta un coup d’œil rapide sur cette imagerie, puis examina le starets. Il se croyait le regard pénétrant, faiblesse excusable, si l’on considère qu’il avait déjà cinquante ans, âge où un homme du monde intelligent et riche se prend davantage au sérieux, parfois même à son insu.

Dès l’abord, le starets lui déplut. Il y avait effectivement dans sa figure quelque chose qui eût paru choquant à bien d’autres qu’à Mioussov. C’était un petit homme voûté, les jambes très faibles, âgé de soixante-cinq ans seulement, mais qui paraissait dix ans de plus, à cause de sa maladie. Tout son visage, d’ailleurs fort sec, était sillonné de petites rides, surtout autour des yeux, qu’il avait clairs, pas très grands, vifs et brillants comme deux points lumineux. Il ne lui restait que quelques touffes de cheveux gris sur les tempes ; sa barbe, petite et clairsemée, finissait en pointe ; les lèvres, minces comme deux lanières, souriaient fréquemment ; le nez aigu rappelait un oiseau.

« Selon toute apparence, une âme malveillante, mesquine, présomptueuse » , pensa Mioussov, qui se sentait fort mécontent de lui.

Une petite horloge à poids frappa douze coups ; cela rompit la glace.

  1. Schisme provoqué dans l’église russe, au milieu du XVIIème siècle, par les réformes du patriarche Nicon.