Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/46

Cette page n’a pas encore été corrigée

respectueuse. Dmitri avait été prévenu la veille de l’heure du rendez-vous, mais il était en retard. Les visiteurs laissèrent leurs voitures près de l’enceinte, à l’hôtellerie, et franchirent à pied les portes du monastère. Sauf Fiodor Pavlovitch, aucun d’eux n’avait jamais vu de monastère, et Mioussov n’était pas entré dans une église depuis trente ans. Il regardait avec une certaine curiosité, en prenant un air dégagé. Mais à part l’église et les dépendances, d’ailleurs fort banales, l’intérieur du monastère n’offrait rien à son esprit observateur. Les derniers fidèles sortis de l’église se découvraient en se signant. Parmi le bas peuple se trouvaient des gens d’un rang plus élevé : deux ou trois dames, un vieux général, tous descendus à l’hôtellerie. Des mendiants entourèrent nos visiteurs, mais personne ne leur fit l’aumône. Seul Kalganov tira dix kopeks de son porte-monnaie et, gêné Dieu sait pourquoi, les glissa rapidement à une bonne femme, en murmurant : « Partagez-les. » Aucun de ses compagnons ne lui fit d’observation, ce qui eut pour résultat d’accroître sa confusion.

Chose étrange : on aurait vraiment dû les attendre et même leur témoigner quelques égards ; l’un d’eux venait de faire don de mille roubles, l’autre était un propriétaire fort riche, qui tenait les moines plus ou moins sous sa dépendance en ce qui concerne la pêche, suivant la tournure que prendrait le procès ; pourtant, aucune personnalité officielle ne se trouvait là pour les recevoir. Mioussov contemplait d’un air distrait les pierres tombales disséminées autour de l’église et voulut faire la remarque que les occupants de ces tombes avaient dû payer fort cher le droit d’être enterrés en un lieu aussi « saint », mais il garda le silence : son ironie de libéral faisait place à l’irritation.

« À qui diable s’adresser, dans cette pétaudière ?… Il faudrait le savoir, car le temps passe », murmura-t-il comme à part soi.

Soudain vint à eux un personnage d’une soixantaine d’années, en ample vêtement d’été, dépourvu de cheveux mais doué d’un regard tendre. Le chapeau à la main, il se présenta en zézayant comme le propriétaire foncier Maximov, de la province de Toula. Il prit à cœur l’embarras de ces messieurs.

« Le starets Zosime habite l’ermitage à l’écart, à quatre cents pas du monastère, il faut traverser le bosquet…

— Je le sais, répondit Fiodor Pavlovitch, mais nous ne nous souvenons pas bien du chemin, depuis si longtemps.