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miracle… Quel beau miracle ! Il fut consacré à la joie et non au deuil… « Qui aime les hommes aime aussi leur joie… » Le défunt le répétait à chaque instant, c’était une de ses principales idées… « On ne peut pas vivre sans joie », affirme Mitia… Tout ce qui est vrai et beau respire toujours le pardon ; il le disait aussi.

…Jésus lui dit : Femme, qu’y a-t-il entre vous et moi ? Mon heure n’est pas encore venue.

Sa mère dit à ceux qui servaient : Faites tout ce qu’il vous dira…

— Faites… Procurez la joie à de très pauvres gens… Fort pauvres, assurément, puisque même à leurs noces le vin manqua… Les historiens racontent qu’autour du lac de Génézareth et dans la région était alors disséminée la population la plus pauvre qu’on puisse imaginer… Et sa mère au grand cœur savait qu’il n’était pas venu seulement accomplir sa mission sublime, mais qu’il partageait la joie naïve des gens simples et ignorants qui l’invitaient cordialement à leurs humbles noces. « Mon heure n’est pas encore venue. » Il parle avec un doux sourire (oui, il a dû lui sourire tendrement). En réalité, se peut-il qu’il soit venu sur terre pour multiplier le vin à de pauvres noces ? Mais il a fait ce qu’elle lui demandait…

…Jésus leur dit : Remplissez d’eau ces urnes. Et ils les remplirent jusqu’au bord.

Alors Jésus leur dit : Puisez maintenant et portez-en au maître d’hôtel. Et ils lui en portèrent.

Dès que le maître d’hôtel eut goûté l’eau changée en vin, ne sachant d’où venait ce vin, quoique les serviteurs qui avaient puisé l’eau le sussent bien, il appela l’époux.

Et lui dit : Tout homme sert d’abord le bon vin ; puis, après qu’on en a beaucoup bu, il en sert de moins bon ; mais toi tu as réservé le bon vin jusqu’à maintenant.

— Mais qu’arrive-t-il ? Pourquoi la chambre oscille-t-elle ? Ah ! oui… ce sont les noces, le mariage… bien sûr. Voici les invités, les jeunes époux, la foule joyeuse et… où est donc le sage maître d’hôtel ? Qui est-ce ? La chambre oscille de nouveau… Qui se lève à la grande table ? Comment… lui aussi est ici ? Mais il était dans son cercueil… Il s’est levé, il m’a vu, il vient ici… Seigneur !… »

En effet, il s’est approché, le petit vieillard sec, au visage sillonné de rides, riant doucement. Le cercueil a disparu ; il est habillé comme hier, en leur compagnie, quand ses visiteurs se réunirent ; il a le visage découvert, les yeux brillants.