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souvenir. Pas de longs commentaires, d’homélies, il comprendra tout simplement. En doutez-vous ? Lisez-lui l’histoire touchante, de la belle Esther et de l’orgueilleuse Vasthi, ou le merveilleux récit de Jonas dans le ventre de la baleine. N’oubliez pas non plus les paraboles du Seigneur, surtout dans l’Évangile selon saint Luc (ainsi que je l’ai toujours fait), ensuite dans les Actes des Apôtres, la conversion de Saül (ceci sans faute) ; enfin, dans les Menées ne serait-ce que la vie d’Alexis, homme de Dieu, et de la martyre sublime entre toutes, Marie l’Égyptienne. Ces récits naïfs toucheront le cœur populaire ; et cela ne vous prendra qu’une heure par semaine. Le prêtre s’apercevra que notre peuple miséricordieux, reconnaissant, lui rendra ses bienfaits au centuple ; se rappelant le zèle de son pasteur et ses paroles émues, il l’aidera dans son champ, à la maison, lui témoignera plus de respect qu’auparavant ; et alors son casuel s’accroîtra. C’est une chose si simple que parfois on n’ose pas l’exprimer par crainte des moqueries, et cependant rien n’est plus vrai ! Celui qui ne croit pas en Dieu ne croit pas à son peuple. Qui a cru au peuple de Dieu verra Son sanctuaire, même s’il n’y avait pas cru jusqu’alors. Seul le peuple et sa force spirituelle future convertiront nos athées détachés de la terre natale. Et qu’est-ce que la parole du Christ sans l’exemple ? Sans la Parole de Dieu, le peuple périra, car son âme est avide de cette Parole et de toute noble idée.

Dans ma jeunesse, il y aura bientôt quarante ans, nous parcourions la Russie, le frère Anthyme et moi, quêtant pour notre monastère ; nous passâmes une fois la nuit avec des pêcheurs, au bord d’un grand fleuve navigable ; un jeune paysan de bonne mine, au regard doux et limpide, âgé de quelque dix-huit ans, vint s’asseoir auprès de nous ; il se hâtait d’arriver le lendemain à son poste pour haler une barque marchande. C’était par une belle nuit de juillet, calme et chaude, des vapeurs montaient du fleuve et nous rafraîchissaient, de temps en temps un poisson émergeait ; les oiseaux s’étaient tus, tout respirait la paix, la prière. Nous étions seuls à ne pas dormir, ce jeune homme et moi, nous parlâmes de la beauté du monde et de son mystère. Chaque herbe, chaque insecte, une fourmi, une abeille dorée, tous connaissent leur voie d’une façon étonnante, par instinct, tous attestent le mystère divin et l’accomplissent eux-mêmes continuellement. Je vis que le cœur de ce gentil jeune homme s’échauffait. Il me confia qu’il aimait la forêt et les oiseaux qui l’habitent ; il était oiseleur, comprenait leurs chants,