Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/310

Cette page n’a pas encore été corrigée

appris à lire, je le conserve encore comme une relique. Mais avant de savoir lire, à huit ans, j’éprouvais, il m’en souvient, une certaine impression des choses spirituelles. Le lundi saint, ma mère me mena à la messe. C’était une journée claire, je revois l’encens monter lentement vers la voûte ; par une étroite fenêtre de la coupole, les rayons du soleil descendaient jusqu’à nous, les nuages d’encens semblaient s’y fondre. Je regardai avec attendrissement, et pour la première fois mon âme reçut consciemment la semence de la Parole Divine. Un adolescent s’avança au milieu du temple avec un grand livre, si grand qu’il me paraissait le porter avec peine ; il le déposa sur le lutrin, l’ouvrit, se mit à lire ; je compris alors qu’on lisait dans un temple consacré à Dieu. Il y avait au pays de Hus un homme juste et pieux, qui possédait de grandes richesses, tant de chameaux, tant de brebis et d’ânes ; ses enfants se divertissaient, il les chérissait et priait Dieu pour eux, peut-être qu’en se divertissant ils péchèrent. Et voici que le diable monta auprès de Dieu en même temps que les enfants de Dieu, et dit au Seigneur qu’il avait parcouru toute la terre, dessus et dessous. « As-tu vu mon serviteur Job ? » lui demanda Dieu. Et il fit au diable l’éloge de son noble serviteur. Le diable sourit à ces paroles : « Livre-le-moi, et tu verras que ton serviteur murmurera contre toi et maudira ton nom. » Alors Dieu livra à Satan le juste qu’il chérissait. Le diable frappa ses enfants et son bétail, anéantit ses richesses avec une rapidité foudroyante, et Job déchira ses vêtements, se jeta la face contre terre, s’écria : « Je suis sorti nu du ventre de ma mère, je retournerai nu dans la terre ; Dieu m’avait tout donné ; Dieu m’a tout repris, que son nom soit béni maintenant et à jamais ! » Mes Pères, excusez mes larmes, car c’est toute mon enfance qui surgit devant moi, il me semble que j’ai huit ans, je suis comme alors étonné, troublé, ravi. Les chameaux frappaient mon imagination, et Satan, qui parle ainsi à Dieu, et Dieu qui voue son serviteur à la ruine, et celui-ci qui s’écrie : « Que ton nom soit béni, malgré ta rigueur ! » Puis le chant doux et suave dans le temple : « Que ma prière soit exaucée », et de nouveau l’encens et la prière à genoux ! Depuis lors — et cela m’est arrivé hier encore — je ne puis lire cette très sainte histoire sans verser des larmes. Quelle grandeur, quel mystère inconcevable ! J’ai entendu par la suite les railleurs et les détracteurs dire : « Comment le Seigneur pouvait-il livrer au diable un juste qu’il chérissait, lui enlever ses enfants, le couvrir d’ulcères, le réduire à nettoyer ses plaies avec un tesson, et tout cela pour se vanter devant