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la beauté ni la gloire. — Tu te charges de bien des péchés, soupirait parfois notre mère. — Mère chérie, c’est de joie et non de chagrin que je pleure, j’ai envie d’être coupable envers eux, je ne puis te l’expliquer, car je ne sais comment les aimer. Si j’ai péché envers tous, tous me pardonneront, voilà le paradis. N’y suis-je pas maintenant ? » Il dit encore bien des choses que j’ai oubliées. Je me souviens qu’un jour j’entrai seul dans sa chambre : c’était le soir, le soleil couchant éclairait la pièce de ses rayons obliques. Il me fit signe d’approcher, mit ses mains sur mes épaules, me regarda avec tendresse durant une minute, sans dire un mot : « Eh bien ! va jouer maintenant, vis pour moi ! » Je sortis et allai jouer. Par la suite, je me suis souvent rappelé cette parole en pleurant. Il dit encore beaucoup de choses étonnantes, admirables, que nous ne pouvions pas comprendre alors. Il mourut trois semaines après Pâques, ayant toute sa connaissance et, bien qu’il ne parlât plus, il demeura le même jusqu’à la fin ; la gaieté brillait dans ses yeux, il nous cherchait du regard, nous souriait, nous appelait. Même en ville, on parla beaucoup de sa mort. J’étais bien jeune alors, mais tout cela laissa dans mon cœur une empreinte ineffaçable, et qui devait se manifester plus tard. »

b) L’Écriture Sainte dans la vie du starets Zosime.

« Nous restâmes seuls, ma mère et moi. De bons amis lui représentèrent bientôt qu’elle ferait bien de m’envoyer à Pétersbourg, qu’en me gardant auprès d’elle elle entravait peut-être ma carrière. Ils lui conseillèrent de me mettre au Corps des Cadets, pour entrer ensuite dans la garde. Ma mère hésita longtemps à se séparer de son dernier fils ; elle s’y décida enfin, non sans beaucoup de larmes, pensant contribuer à mon bonheur. Elle me conduisit à Pétersbourg et me plaça comme on lui avait dit. Je ne la revis jamais ; elle mourut en effet au bout de trois ans passés dans la tristesse et l’anxiété. Je n’ai gardé que d’excellents souvenirs de la maison paternelle ; ce sont pour l’homme les plus précieux de tous, pourvu que l’amour et la concorde règnent tant soit peu dans la famille. On peut même conserver un souvenir ému de la pire famille, si l’on a une âme capable d’émotion. Parmi ces souvenirs, une place appartient à l’histoire sainte, qui m’intéressait beaucoup, malgré mon tout jeune âge. J’avais alors un livre avec de magnifiques gravures, intitulé : Cent quatre histoires saintes tirées de l’Ancien et du Nouveau Testament. Ce livre, où j’ai