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comptait quatre : les Pères Joseph, Païsius et Michel, ce dernier supérieur de l’ascétère, homme d’un certain âge, bien moins savant que les autres, de condition modeste, mais d’esprit ferme, à la fois solide et candide, l’air rude, mais au cœur tendre, bien qu’il dissimulât pudiquement cette tendresse. Le quatrième était un vieux moine simple, fils de pauvres paysans, le frère Anthyme, fort peu instruit, taciturne et doux, le plus humble entre les humbles, paraissant toujours sous l’impression d’une grande frayeur qui l’aurait accablé. Cet homme craintif était fort aimé du starets Zosime qui eut toute sa vie beaucoup d’estime pour lui, bien qu’ils n’échangeassent que de rares paroles. Pourtant ils avaient parcouru ensemble la sainte Russie durant des années. Cela remontait à quarante ans, aux débuts de l’apostolat du starets ; peu après son entrée dans un monastère pauvre et obscur de la province de Kostroma, il avait accompagné le frère Anthyme dans ses quêtes au profit dudit monastère. Les hôtes se tenaient dans la chambre à coucher du starets, fort exiguë, comme on l’a déjà dit, de sorte qu’il y avait juste place pour eux quatre assis autour de son fauteuil, le novice Porphyre restant debout. Il faisait déjà sombre, la chambre était éclairée par les veilleuses et les cierges allumés devant les icônes. À la vue d’Aliocha, s’arrêtant embarrassé sur le seuil, le starets eut un sourire joyeux et lui tendit la main :

« Bonjour, mon doux ami, te voilà. Je savais que tu viendrais. »

Aliocha s’approcha, s’inclina jusqu’à terre et se prit à pleurer. Il éprouvait un serrement de cœur, son âme frémissait, des sanglots l’oppressaient.

« Attends encore pour me pleurer, dit le starets en le bénissant ; tu vois, je cause, tranquillement assis ; peut-être vivrai-je encore vingt ans, comme me l’a souhaité hier cette brave femme de Vychegorié, avec sa fillette Elisabeth. Seigneur, souviens-toi d’elles ! (et il se signa). Porphyre, as-tu porté son offrande là où je t’ai dit ? »

Il s’agissait des soixante kopeks donnés avec joie par cette femme, pour les remettre « à une plus pauvre qu’elle ». De telles offrandes sont une pénitence qu’on s’impose volontairement ; elles doivent provenir du travail personnel de leur auteur. Le starets avait envoyé Porphyre chez une pauvre veuve, réduite à la mendicité avec ses enfants, après un incendie. Le novice répondit aussitôt qu’il avait fait le nécessaire et remis ce don, suivant l’ordre reçu, « de la part d’une bienfaitrice inconnue ».