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Le tarantass partit au galop. Le voyageur était préoccupé, mais il regardait avidement les champs, les coteaux, une bande d’oies sauvages qui volaient haut dans le ciel clair. Tout à coup, il éprouva une sensation de bien-être. Il essaya de causer avec le voiturier et s’intéressa fort à une réponse du moujik ; mais bientôt il se rendit compte que son esprit était ailleurs. Il se tut, respirant avec délices l’air pur et frais. Le souvenir d’Aliocha et de Catherine Ivanovna lui traversa l’esprit ; il sourit doucement, souffla sur ces chers fantômes, et ils s’évanouirent. « Plus tard ! » pensa-t-il. On atteignit vivement le relais, on remplaça les chevaux pour se diriger sur Volovia. « Pourquoi y a-t-il plaisir à causer avec un homme d’esprit, qu’entendait-il par là ? se demanda-t-il soudain. Pourquoi lui ai-je dit que j’allais à Tchermachnia ? »

Arrivé à la station de Volovia, Ivan descendit, les voituriers l’entourèrent ; il fit le prix pour Tchermachnia, douze verstes par un chemin vicinal. Il ordonna d’atteler, entra dans le local, regarda la préposée, ressortit sur le perron.

« Je ne vais pas à Tchermachnia. Ai-je le temps, les gars, d’arriver à sept heures à la gare ?

— À votre service. Faut-il atteler ?

— À l’instant même. Est-ce que l’un de vous va demain à la ville ?

— Oui. Dmitri y va.

— Pourrais-tu, Dmitri, me rendre un service ? Va chez mon père, Fiodor Pavlovitch Karamazov, et dis-lui que je ne suis pas allé à Tchermachnia.

— Pourquoi pas ? Nous connaissons Fiodor Pavlovitch depuis longtemps.

— Tiens, voici un pourboire, car il ne faut pas compter sur lui… dit gaiement Ivan Fiodorovitch.

— C’est bien vrai, fit Dmitri en riant. Merci, monsieur, je ferai votre commission… »

À sept heures du soir, Ivan monta dans le train de Moscou. « Arrière tout le passé ! C’est fini pour toujours. Que je n’en entende plus parler ! Vers un nouveau monde, vers de nouvelles terres, sans regarder en arrière ! » Mais soudain son âme s’assombrit et une tristesse telle qu’il n’en avait jamais ressenti lui étreignit le cœur. Il médita toute la nuit. Le matin seulement, en arrivant à Moscou, il se ressaisit.

« Je suis un misérable ! » se dit-il.

Après le départ de son fils, Fiodor Pavlovitch se sentit le cœur léger. Pendant deux heures, il fut presque heureux, le cognac aidant, lorsque survint un incident fâcheux qui le