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du tout ? C’était pourtant la vérité. Mais qu’elle me plaisait, et hier encore, quand je discourais ! Même à présent, elle me plaît beaucoup, cependant je la quitte le cœur léger. Tu penses peut-être que je fais le fanfaron ?

— Non, peut-être n’était-ce pas l’amour.

— Aliocha, dit Ivan en riant, ne raisonne pas sur l’amour, cela ne te convient pas. Comme tu t’es mis en avant, hier ! J’ai oublié de t’embrasser pour ça… Comme elle me tourmentait ! C’était un véritable déchirement. Oh ! elle savait que je l’aimais ! C’est moi qu’elle aimait, et non Dmitri, affirma gaiement Ivan. Dmitri ne lui sert qu’à se torturer. Tout ce que je lui ai dit est la vérité pure. Seulement, il lui faudra peut-être quinze ou vingt ans pour se rendre compte qu’elle n’aime nullement Dmitri, mais seulement moi, qu’elle fait souffrir. Peut-être même ne le devinera-t-elle jamais, malgré la leçon d’aujourd’hui. Cela vaut mieux. Je l’ai quittée pour toujours. À propos, que devient-elle ? Que s’est-il passé après mon départ ? »

Aliocha lui raconta que Catherine Ivanovna avait eu une crise de nerfs et que maintenant elle délirait.

« Elle ne ment pas, cette Khokhlakov ?

— Je ne crois pas.

— Il faut prendre de ses nouvelles. On ne meurt pas d’une crise de nerfs… D’ailleurs, c’est par bonté que Dieu en a gratifié les femmes. Je n’irai pas chez elle. À quoi bon ?

— Tu lui as dit pourtant qu’elle ne t’avait jamais aimé.

— C’était exprès, Aliocha. Je vais demander du champagne, buvons à ma liberté ! Si tu savais comme je suis content !

— Non, frère, ne buvons pas ; d’ailleurs, je me sens triste.

— Oui, tu es triste, je m’en suis aperçu depuis longtemps.

— Alors, tu pars décidément demain matin ?

— Demain, mais je n’ai pas dit le matin… D’ailleurs, ça se peut. Me croiras-tu ? aujourd’hui j’ai dîné ici uniquement pour éviter le vieux, tellement il me dégoûte. S’il n’y avait que lui, je serais parti depuis longtemps. Pourquoi t’inquiètes-tu tant de mon départ ? Nous avons encore du temps d’ici là, toute une éternité !

— Comment cela, si tu pars demain ?

— Qu’est-ce que ça peut bien faire ? Nous aurons toujours le temps de traiter le sujet qui nous intéresse. Pourquoi me regardes-tu avec étonnement ? Réponds, pourquoi nous sommes-nous réunis ici ? Pour parler de l’amour de Catherine Ivanovna, du vieux ou de Dmitri ? De la politique étrangère ?