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à la rue du Lac, pour lui dire de venir sans faute dîner avec lui au cabaret de la place. J’y suis allé, mais je ne l’ai pas trouvé, il était déjà huit heures. « Il est venu, puis il est reparti », m’a dit textuellement son logeur. On dirait qu’ils se sont donné le mot. En ce moment, il est peut-être attablé avec Ivan Fiodorovitch, car celui-ci n’est pas rentré dîner ; quant à Fiodor Pavlovitch, voilà déjà une heure qu’il a dîné et maintenant il fait la sieste. Mais je vous prie instamment de garder tout cela pour vous ; il est capable de me tuer pour une bagatelle.

— Mon frère Ivan a donné rendez-vous à Dmitri au cabaret, aujourd’hui ? insista Aliocha.

— Oui.

— Au cabaret À la Capitale, sur la place ?

— Précisément.

— C’est fort possible ! s’exclama Aliocha avec agitation. Je vous remercie, Smerdiakov ; la nouvelle est d’importance ; j’y vais tout de suite.

— Ne me trahissez pas.

— Non, je me présenterai comme par hasard, soyez tranquille.

— Où allez-vous donc ? Je vais vous ouvrir la porte, cria Marie Kondratievna.

— Non, c’est plus court par ici, je vais franchir la haie. »

Cette nouvelle avait impressionné Aliocha, qui courut au cabaret. Il eût été inconvenant d’y entrer dans son costume, mais il pouvait se renseigner et appeler ses frères dans l’escalier. À peine s’approchait-il du cabaret qu’une fenêtre s’ouvrit et qu’Ivan lui cria :

« Aliocha, peux-tu venir me trouver. Tu m’obligeras infiniment.

— Je ne sais si, avec cette robe…

— Je suis dans un cabinet particulier, monte le perron, je vais à ta rencontre. »

Un instant après, Aliocha était assis à coté de son frère. Ivan dînait tout seul.


III

Les frères font connaissance

À vrai dire, la table d’Ivan, près de la fenêtre, était simplement protégée par un paravent contre les regards indiscrets. Elle se trouvait à côté du comptoir, dans la première