Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/222

Cette page n’a pas encore été corrigée

VII

Et au grand air

« L’air est pur, ici, tandis que dans mes appartements, il ne l’est guère, sous tous les rapports. Marchons un peu, monsieur, je voudrais bien que ma personne vous intéressât.

— J’ai une importante communication à vous faire, déclara Aliocha ; seulement je ne sais par où commencer.

— Je m’en doutais bien. Vous n’alliez pas vous déranger uniquement pour vous plaindre de mon garçon, n’est-ce pas ? À propos du petit, il faut que je vous décrive la scène, je n’ai pas pu tout vous raconter là-bas. Voyez-vous, il y a huit jours, le torchon de tille était plus fourni — c’est de ma barbe que je parle ; on l’a surnommée ainsi, les écoliers surtout. — Eh bien, quand votre frère s’est mis à me traîner par la barbe, le long de la place, à me faire des violences pour une bagatelle, c’était justement l’heure où les écoliers sortaient de classe, et parmi eux Ilioucha. Dès qu’il m’aperçut dans cette posture, il s’élança vers moi en criant : « Papa, papa ! » Il s’accroche à moi, m’étreint, veut me dégager, crie à mon agresseur : « Lâchez-le, lâchez-le, c’est mon papa, pardonnez-lui ! » Avec ses petits bras il le saisit et lui baisa la main, cette même main, qui… je me rappelle l’expression de son visage à ce moment, je ne l’oublierai jamais !…

— Je vous jure, s’écria Aliocha, que mon frère vous exprimera un complet repentir, de la façon la plus sincère, fût-ce à genoux sur cette même place… Je l’y obligerai ; sinon il cessera d’être mon frère !

— Ah, ah, c’est encore à l’état de projet ! Cela ne vient pas de lui, mais de la noblesse de votre cœur généreux. Vous auriez dû le dire tout de suite. Dans ce cas, permettez-moi de vous exposer l’esprit chevaleresque dont votre frère a fait preuve ce jour-là. Il s’arrêta de me traîner par la barbe et me lâcha : « Tu es officier, me dit-il, et moi aussi ; si tu peux trouver comme témoin un homme comme il faut, envoie-le-moi, je te donnerai satisfaction, bien que tu sois un coquin ! » Et voilà ! Un esprit vraiment chevaleresque, n’est-ce pas ? Nous nous éloignâmes avec Ilioucha, et cette scène de famille est restée à jamais gravée dans la mémoire du pauvre petit. À