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si l’air est mauvais chez moi. » J’avais cela sur le cœur quand tantôt, assise comme je suis maintenant, j’ai vu entrer ce général, qui était venu ici pour Pâques. « Eh bien ! lui dis-je, Votre Excellence, une dame noble peut-elle laisser entrer l’air du dehors ? — Oui, répond-il, vous devriez ouvrir la porte ou le vasistas, car l’air n’est pas pur chez vous. » Et tous sont pareils ! Pourquoi en veulent-ils à mon air ? Les morts sentent encore plus mauvais. Je ne corromps pas l’air chez vous, je me ferai faire des souliers et je m’en irai. Mes enfants, n’en veuillez pas à votre mère ! Nicolas Ilitch, mon ami, ai-je cessé de te plaire ? Je n’ai plus qu’Ilioucha pour m’aimer, quand il revient de l’école. Hier, il m’a apporté une pomme. Pardonnez à votre mère, mes bons amis, pardonnez à une pauvre délaissée ! En quoi mon air vous dégoûte-t-il ? »

La pauvre démente éclata en sanglots, ses larmes ruisselaient. Le capitaine se précipita vers elle.

« Maman, chère maman, assez ; tu n’es pas délaissée ; tous t’aiment et t’adorent. »

Il recommença à lui baiser les mains et se mit à lui caresser le visage, à essuyer ses larmes avec une serviette. Il avait lui-même les yeux humides ; c’est du moins ce qu’il sembla à Aliocha, vers qui il se tourna soudain pour lui dire d’un ton courroucé en désignant la pauvre démente :

« Eh bien, vous avez vu et entendu ?

— Je vois et j’entends, murmura Aliocha.

— Papa, papa, comment peux-tu ?… Laisse-le, papa ! cria le garçon dressé sur son lit, avec un regard ardent.

— Assez fait le pitre, comme ça ! Laissez donc vos stupides manigances, qui ne mènent jamais à rien ! cria de son coin Varvara Nicolaïevna, exaspérée ; elle tapa même du pied.

— Vous avez tout à fait raison, cette fois, de vous mettre en colère, Varvara Nicolaïevna, et je vais vous donner satisfaction. Couvrez-vous, Alexéi Fiodorovitch, je prends ma casquette, et sortons. J’ai à vous parler sérieusement, mais pas ici. Cette jeune personne assise, c’est ma fille Nina Nicolaïevna, j’ai oublié de vous la présenter. Un ange incarné… descendu chez les mortels… si tant est que vous puissiez comprendre cela.

— Le voilà tout secoué, comme s’il avait des convulsions, continua Varvara Nicoldievna indignée.

— Celle qui vient de taper du pied et de me traiter de pitre, c’est aussi un ange incarné, elle m’a donné le nom qui convient. Allons, Alexéi Fiodorovitch, il faut en finir… »

Et, prenant Aliocha par le bras, il le conduisit dehors.