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sur place comme une araignée écrasée. Il a dû pourrir dans un coin ; il empeste, mais eux, ils ne le voient ni ne le sentent. Voilà un an que je n’y vais plus. À toi seul, en tant qu’étranger, je révèle ces choses.

— Vos paroles sont terribles ! Dites-moi, éminent et bienheureux Père, est-il vrai, comme on le prétend dans les terres les plus lointaines, que vous seriez en relation permanente avec le Saint-Esprit ?

— Il descend parfois sur moi.

— Sous quelle forme ?

— Sous la forme d’un oiseau.

— D’une colombe, sans doute ?

— Ça c’est le Saint-Esprit ; mais je parle de l’Esprit Saint, qui est différent. Il peut descendre sous la forme d’un autre oiseau : une hirondelle ou un chardonneret, parfois une mésange.

— Comment pouvez-vous le reconnaître ?

— Il parle.

— Quelle langue parle-t-il ?

— La langue des hommes.

— Et que vous dit-il ?

— Aujourd’hui, il m’a annoncé la visite d’un imbécile qui me poserait des questions oiseuses. Tu es bien curieux, moine.

— Vos paroles sont redoutables, bienheureux et vénéré Père. »

Le moine hochait la tête, mais la méfiance apparaissait dans ses yeux craintifs.

« Vois-tu cet arbre ? demanda, après une pause, le Père Théraponte.

— Je le vois, bienheureux Père.

— Pour toi, c’est un orme, mais pour moi, tout autre chose.

— Et quoi donc ? s’enquit le moine anxieux.

— Tu vois ces deux branches ? La nuit, parfois, ce sont les bras du Christ qui s’étendent vers moi, qui me cherchent ; je les vois clairement et je frémis. Oh ! c’est terrible !

— Pourquoi terrible, si c’est le Christ lui-même ?

— Une nuit, il me saisira, m’enlèvera.

— Vivant ?

— Tu ne sais donc rien de la gloire d’Élie ? Il vous étreint et vous enlève… »

Après cette conversation, le moine d’Obdorsk regagna la cellule qu’on lui avait assignée ; il était assez perplexe,