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communiquer le nouveau « miracle de cette prédiction » au Père Abbé et à toute la communauté. « Il importe que tous le sachent ! » s’exclamait-elle à la fin de sa lettre, écrite à la hâte, et dont chaque ligne reflétait l’émotion. Mais Aliocha n’eut rien à communiquer à la communauté, tous étaient déjà au courant. Rakitine, en envoyant le moine à sa recherche, l’avait chargé, en outre, d’ « informer respectueusement Sa Révérence, le Père Païsius, qu’il avait à lui communiquer sans retard, une affaire de première importance, et le priait humblement d’excuser sa hardiesse ». Comme le moine avait d’abord transmis au Père Païsius la requête de Rakitine, il ne restait à Aliocha, après avoir lu la lettre, qu’à la communiquer au Père, à titre documentaire. Or, en lisant, les sourcils froncés, la nouvelle du « miracle », cet homme rude et méfiant ne put dominer son sentiment intime. Ses yeux brillèrent, il eut un sourire grave, pénétrant.

« Nous en verrons bien d’autres, laissa-t-il échapper.

— Nous en verrons bien d’autres ! » répétèrent les moines ; mais le Père Païsius, fronçant de nouveau les sourcils, pria tout le monde de n’en parler à personne, « jusqu’à ce que cela se confirme, car il y a beaucoup de frivolité dans les nouvelles du monde, et ce cas peut être arrivé naturellement », conclut-il comme par acquit de conscience, mais presque sans ajouter foi lui-même à sa réserve, ce que remarquèrent fort bien ses auditeurs. Au même instant, bien entendu, le « miracle » était connu de tout le monastère, et même de beaucoup de laïcs, qui étaient venus assister à la messe. Le plus impressionné paraissait être le moine arrivé la veille de Saint-Sylvestre, petit monastère situé près d’Obdorsk, dans le Nord lointain, celui qui avait rendu hommage au starets aux côtés de Mme Khokhlakov, et lui avait demandé d’un air pénétrant, en désignant la fille de cette dame : « Comment pouvez-vous tenter de telles choses ? »

Il était maintenant en proie à une certaine perplexité et ne savait presque plus qui croire. La veille au soir, il avait rendu visite au Père Théraponte dans sa cellule particulière, derrière le rucher, et rapporté de cette entrevue une impression lugubre. Le Père Théraponte était ce vieux moine, grand jeûneur et observateur du silence, que nous avons déjà cité comme adversaire du starets Zosime, et surtout du « starétisme », qu’il estimait une nouveauté nuisible et frivole. Bien qu’il ne parlât presque à personne, c’était un adversaire fort redoutable, en raison de la sincère sympathie que lui témoignaient la plupart des religieux ; beaucoup de laïcs