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l’enfer et beaucoup de péchés lui seront pardonnés. Je me contenterai de cette somme, je te le jure, il n’entendra plus parler de moi. Je lui fournis une dernière fois l’occasion d’être un père. Dis-lui que c’est Dieu qui la lui offre.

— Dmitri, il ne les donnera à aucun prix.

— Je le sais bien, j’en suis sûr. Maintenant surtout ! Mais il y a mieux. Ces jours-ci, il a appris pour la première fois sérieusement (remarque cet adverbe) que Grouchegnka ne plaisantait pas et se déciderait peut-être à faire le saut, à m’épouser. Il connaît son caractère, à cette chatte. Eh bien, me donnerait-il de l’argent par-dessus le marché, pour favoriser la chose, alors qu’il est fou d’elle ? Ce n’est pas tout ; écoute ceci : depuis cinq jours déjà, il a mis de côté trois mille roubles en billets de cent, dans une grande enveloppe avec cinq cachets, nouée d’une faveur rose. Tu vois comme je suis au courant ! L’enveloppe porte ceci : « Pour mon ange, Grouchegnka, si elle consent à venir chez moi. » Il a griffonné cela lui-même, à la dérobée, et tout le monde ignore qu’il a cet argent, excepté le valet Smerdiakov dont il est aussi sûr que de lui-même. Voilà trois ou quatre jours, qu’il attend Grouchegnka, dans l’espoir qu’elle viendra chercher l’enveloppe ; elle lui a fait « savoir qu’elle viendrait peut-être ». Si elle va chez le vieux, je ne pourrai plus l’épouser. Comprends-tu maintenant pourquoi je me cache ici et qui je guette ?

— Elle ?

— Oui. Ces garces ont cédé une chambrette à Foma[1], un ancien soldat de mon bataillon. Il est à leur service, monte la garde la nuit et tire les coqs de bruyère dans la journée. Je me suis installé chez lui ; ces femmes et lui ignorent mon secret, à savoir que je suis ici pour guetter.

— Smerdiakov seul le sait ?

— Oui. C’est lui qui m’avertira, si Grouchegnka va chez le vieux.

— C’est lui qui t’a parlé du paquet ?

— En effet. C’est un grand secret. Ivan lui-même n’est au courant de rien. Le vieux l’a envoyé promener à Tchermachnia pour deux ou trois jours ; un acheteur s’est présenté, pour le bois, il en offre huit mille roubles ; le vieux a prié Ivan de l’aider, d’y aller à sa place. Il veut l’éloigner pour recevoir Grouchegnka.

— Il l’attend par conséquent aujourd’hui ?

  1. Thomas.