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indifférence à mon égard. Ce fut alors une noce à tout casser. Enfin, le lieutenant-colonel m’infligea trois jours d’arrêts. À ce moment, le vieux m’envoya six mille roubles contre une renonciation formelle à tous mes droits et prétentions à la fortune de ma mère. Je n’y entendais rien alors ; jusqu’à mon arrivée ici, frère, jusqu’à ces derniers jours et peut-être même maintenant, je n’ai rien compris à ces démêlés d’argent entre mon père et moi. Mais au diable tout cela, on en reparlera. Déjà en possession de ces six mille roubles, la lettre d’un ami m’apprit une chose fort intéressante, à savoir qu’on était mécontent de notre lieutenant-colonel, soupçonné de malversations, que ses ennemis lui préparaient une surprise. En effet, le commandant de la division vint lui adresser une vigoureuse réprimande. Peu après, il fut obligé de démissionner. Je ne te raconterai pas tous les détails de cette affaire ; il avait, en effet, des ennemis ; ce fut dans la ville un brusque refroidissement envers lui et toute sa famille ; tout le monde les lâchait. C’est alors que je servis mon premier tour. Comme je rencontrais un jour Agathe Ivanovna, dont j’étais toujours l’ami, je lui dis : « Il manque à votre père quatre mille cinq cents roubles dans sa caisse… — Comment ? Quand le général est venu, récemment, la somme était au complet… — Elle l’était alors, mais plus maintenant. » Elle prit peur. « Ne m’effrayez pas, je vous en prie, d’où tenez-vous cela ? — Rassurez-vous, lui dis-je, je n’en parlerai à personne, vous savez qu’à cet égard je suis muet comme la tombe. Je voulais seulement vous dire ceci, à tout hasard : quand on réclamera à votre père ces quatre mille cinq cents roubles qui lui manquent, plutôt que de le laisser passer en jugement à son âge, envoyez-moi votre sœur secrètement ; je viens de recevoir de l’argent, je lui remettrai la somme et personne n’en entendra parler. — Ah ! quel gredin vous êtes ! quel méchant gredin ! Comment avez-vous le front de dire de pareilles choses ? » Elle s’en alla, suffoquée d’indignation et je lui criai par-derrière que le secret serait inviolablement gardé. Ces deux femmes, Agathe et sa tante, étaient de véritables anges ; elles adoraient la fière Katia, la servaient humblement. Agathe fit part à sa sœur de notre conversation, comme je l’appris par la suite. C’était justement ce qu’il me fallait.

« Sur ces entrefaites arrive un nouveau chef de bataillon. Le vieux tombe malade ; il garde la chambre deux jours entiers et ne rend pas ses comptes. Le docteur Kravtchenko assure que la maladie n’est pas simulée. Mais voici ce que je